6/8 La sobriété heureuse… de Barret-sur-Méouge à Rosans, l’Ouvèze

Au matin, sur la montagne de la Chabre, la brume se dissipe lentement… Les contours des collines émergent peu à peu des nuages filocheux, telle une vision primordiale, et se laissent dessiner par la main d’un artiste en veine de création. Les formes d’abord floues se précisent, en plusieurs traits hésitants on commence à percevoir l’ombre pesante d’une bête endormie, avant que la ligne d’horizon n’apparaisse, triomphante, dans une lumière de début de monde.

Les habitants du vieux cimetière, discrets et silencieux, nous ont laissés dormir tranquilles.

Le moment est de grâce, l’heure ne compte plus, il doit être près de dix heures quand nous redescendons, Delphine et Maître DuBob en footing sur les pentes pierreuses de la route ravinée, que G. négocie au volant de la Berlingomobile avec hardiesse et prouesse !

Notre route de Giono non-officielle, pleine de détours et de zig-zags, et d’inspirations subites, se poursuit dans des vallées sèches, rocailleuses, où alternent lavandes et lavandins. Le plateau que nous sillonnons se situe entre 600 et 700 mètres d’altitude, les falaises de calcaire qui le dominent – épaisses comme des sandwichs au pain de mie, tranchées de tapenade brune et de laitue verdoyante – doivent culminer à 900 ou mille mètres.

Petite halte très bienvenue à Séderon, son boulanger artisanal (passé au crible par l’esprit critique de G.) son lavoir et ses fontaines d’eau potable. Lavoir agrémenté d’une table de picnic (café-croissants), doté d’un débordement à l’abri des regards et d’un savon de Marseille qui seront salutaires pour notre état d’hygiène corporelle, après une quatrième nuit dans la brousse.

Des draps sèchent au grand air du matin sur des fils derrière le lavoir, on ne sait à qui ils appartiennent – ont-ils été lavés à l’ancienne, au lavoir ?

A Séderon dit-on, on voit des chapeaux ronds; des motards, des campings-cars et des gros camions. La départementale passe au milieu de ce minuscule village, donnant lieu à des scènes dignes de notre attention narquoise : un camion de trente tonnes croisant un camping-car dans une ruelle étroite, entre des murs de maisons hautes et tout noircis de carbone, sous le regard goguenard du pépé du coin. Tout le monde se parle, tout le monde se dit bonjour, on se sent un instant partie de la vie locale…

Le village se referme à peine midi sonnés.

Nous le traversons à pied et réalisons qu’il est le point de départ de pas mal de grandes randonnées à travers la Drôme provençale : les itinétaire proposés vont de 4 heures à deux jours ….

Nous y faisons aussi lecture à haute voix sur un muret au bord de la Méouge, devant la boutique du coiffeur local (dont le carnet de bal est plein dès 13h, dommage, j’aurais bien fait une petite mise en plis …). Cueillette de quelques grandes tiges de menthe sur un terrain vague au bout d’un parking, qui s’avère être la propriété d’une dame très sympathique qui n’en prend pas ombrage ; diverses rencontres et salutations aimables, et élaboration de deux bouteilles d’eau aromatisée qui nous vaudront un beau concours de saveurs et une harassante chasse au bouchon – que nous retrouverons grâce à la désinvolture bourrine du chien !

Concours d’eaux aromatisées

Bouteille 1 (G.) : miel thym citron grain de raison pomme sureau

Bouteille 2 (D.) : menthe gingembre miel citron absinthe

Le tout dans une eau de source tirée à la fontaine : un vrai bonheur !

Poursuite vers Buis-les-Baronnies le long des berges de l’Ouvèze – rivière gionienne par excellence. Picnic tardif et sieste au bord de l’Ouvèze à Sainte-Euphémie. C’est joli joli (et c’est un euphémisme), il y a un square, une descente vers l’Ouvèze et quelques villas secondaires. La seule personne qui me parlera mal de tout ce voyage sortira d’une de ces villas – elle a une voiture immatriculée 92 et un air faussement relax de parisienne en villégiature.

Dégustation de la bouteille D. (marque déposée « Santé-Zen ») et de la bouteille G. (marque déposée « Santé-Million ») – les deux valent la palme, mais celle de G. se conservera plus longtemps !

Enorme antenne 5G à cent mètres à peine du village – mais non, tout va bien bonnes gens, rien d’anormal, dormez sur vos trois oreilles !!!

Remplissage des gourdes à nouveau à la fontaine.

Passage des cols d’Ey et de Soubeyrand qui nous valent des petites routes tournicotantes, un coucher de soleil jaune et vaporeux qui joue avec les brumes dispersées sur les collines, quelques cyclistes tardifs et un petit tour dans de magnifiques champs de lavande / lavandin à plus de mille mètres d’altitude.

Arrivée au soir tombé à Rémuzat, en quête de quelque larcin alimentaire. Rien à grailler, seulement une brasserie au chef pas très avenant qui de surcroît ne propose pas de plats à emporter. Nyons ou Rosans ? Notre cœur balance mais l’âme de G. veut revenir hanter les lieux de sa jeunesse. On opte donc pour Rosans où nous arrivons à 20h30. Nous sommes un peu mieux accueillis et arrivons même – moyennant un petit malentendu – à nous taper un dîner en terrasse ! « Au Fourchat », on y mange une blanquette de la mer, chaude et gouleyante, qui ma foi réjouit les papilles, aussi loin soit-on de la mer à cet instant précis. Puis on se met en quête d’un coin pour dormir, or près du Plan d’Eau c’est trop moustiqueux et ça sent la vase, alors nous visons les hauteurs et empruntons la route qui part vers le col de Pommerol / La Fromagère. Là, nous trouvons un terre-plein dans un virage au-dessus d’un troupeau de brebis – le patou nous a bien repérés et ce nigaud hurle à la mort et ne se calmera que lorsque nous aurons fermé boutique. Notre chien, lui, ne demande pas son reste et rêve de lapins aux senteurs de thym qui bondissent dans la garrigue.

Excellente nuit, la chaise pliante trouvée à Sainte-Euphémie nous permet de se laver les dents assis : le luxe absolu !

(c) DM

1,2,3 Soleil !

Un – extase du vent

Deux – grand cercle arctique

Trois – apnée cosmique

Soleil ! Tu rugis comme la lionne

 Et la Terre s’assoupit un instant

            lovée contre le crépuscule

            et rêva de jour

Les yeux mi-clos sur ce monde nouveau

            qui bientôt allait s’éveiller

Et chacun s’enferma pour mieux comprendre sa vie

            espaces clos

            où enfin le Sacré

            put se déployer

Les monts, les forêts, les animaux se reconnurent

            présence engagée

            et de concert murmurent

Océan ! Tu ondules comme le serpent

Et l’humain plongea en soi

            embrassa le calme

            et s’en réjouit           

Chacun se souvint

            des beautés de sa vie

            trésor englouti

Et dans le cœur de l’Homme

            se ralluma la flamme

            minuscule mais ferme

Terre ! Tu vrombis comme la libellule

Chacun revint à l’essentiel

            et s’en trouva heureux

Douceur du présent

            chaque instant précieux

            invisible, saisissable

Et les moments heureux de défiler un à un

            trame d’une vie

            millions d’existences enlacées

Air ! Soyeux comme le fil d’araignée

Tu nous relies, tu nous inspires

Et tout recommença

            la Terre s’ébroua

            ouvrit un œil

            prit une inspiration – et ce fut un éclair !

            puis expira – et ce fut un baiser

Lune ! Comme tu danses avec les Etoiles

Là-haut dans l’Ether

            s’ouvre le règne du Grand Devin

(c) DM

Petite rubrique de nuit

La nuit souffle fort ce que les hommes pensent tout bas

La nuit désespère de voir jamais le jour

La nuit se répand en mille bruissements,

mille symphonies, milles voix inconnues

La nuit sème le doute et récolte les promesses

La nuit se dit qu’un jour

elle étreindra sa propre incandescence

faisant boire les femmes, les hommes,

au liquide nacré de sa sainte opulence

Elle se consumera, 

traînard attardé qui s’éloigne en dansant,

tirant avec lui les fils du dernier mirage

Elle fermera les yeux ; elle oubliera les cieux

elle oubliera les temps où elle était aux dieux

ce que les dieux sont aux humains


Elle se fera belle comme le jour,

ourlée de luminosité ardente

embrassant la lune et tous ses trésors

Elle ira par les jardins,

pénètrera les failles des murs écorchés,

soupirera dans les creux aux soleils inondés

Par des voies alambiquées, elle se glissera  

partout où veut germer la graine

Elle ouvrira des cœurs

et fermera des comptes

Elle verra dans les yeux de ceux qui la vénèrent

un reflet mordoré

qu’elle n’ira point mendier

Elle se rendra,

elle baissera les armes

et ses bras deviendront

fleuves de sel

et bouquets


La nuit se fera belle et deviendra Jour.

(c) DM

Brume automnale

C’était l’époque où la brume hésite à se glisser dans les futaies

L’époque des petits matins ourlés de blanc et des soirées courtes, éphémères et silencieuses

Chaque brin de lumière volé à la pâleur morose du jour

arrache un cri de gratitude au coeur

encore chaud des brises de l’été 

Lorsque le bleu perce, il éblouit l’esprit

Il emporte le blanc avec lui

Et quand la nuit arrive, de ses voiles argentés

elle éteint tout d’un coup, et le ciel,

et l’envie de vivre ou de rire ou de danser

La brume hésite à se lever

Reviennent nous hanter

certaines mémoires oubliées

Il y a quelque chose de gracile dans ces bras de fée dénudés

dans ces silhouettes pétrifiées

rosies par le linceul étincelant

Quelque chose qui nous ramène à notre propre expérience

de l’intempestif, de la cruauté

d’un monde qui sommeille sans se rendre

Une sonorité creuse sort des troncs emmêlés

où le lierre s’agace à grimper

L’écho se fait ivresse

Dans le froissement des coeurs l’attente se fait chair

Une lueur sonde les profondeurs capitonnées

de nos réflexes ancestraux

Une vitalité inconnue surgit, rassurante, 

de la brume effilochée qui rumine

D’un chuchotement humide, 

la rosée grimpe aux arbres et fourmille

Et la mélancolie s’empare des êtres purs, 

les enlace et les étreint

Ceux qui sans concession cherchent à percer le mystère

voient au-delà de leurs propres yeux

s’éclairer les ombres pâles qui oscillent entre-deux

Un renard glapit

et c’est toute la terre qui chante en ut

l’hymne arbitraire de la vie

tandis que les fantômes s’agitent

Profession de foi

à Juliette !

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Je suis l’Indomptable

La rebelle aux ailes brisées

La goëlette aux voiles irisées

 

Je suis l’Irréfutable

La Preuve par 6,

La vahiné

Qui de ses jolis pieds va charmer les sirènes

Et chatouiller les Tritons affamés

 

Je suis l’Infatigable

La grande Diseuse de Vérités-qui-fâchent

La redresseuse de torts

La Justice enfin rétablie

Je suis la Révolte

Au front des étudiants

 

Je suis la toute fine

La Grande

La Délaissée

La Belle-au-Bois-Dormant qui attend son baiser

En lisière des rêves agonisés

 

Je suis l’Acharnée

Qui ne recule que pour mieux sauter

Celle qui, point par point ira tisser sa toile

Pour tout englober

 

Je suis la Diane verte au regard sibyllin

A l’ironie fulgurante

Aux flèches fuselées

À la touche d’acier

 

La Vestale de Delphes aux pieds ensanglantés

Qui prédit la débâcle des lâches et des menteurs

La mise au ban des dévoyés

L’avènement certain de l’authenticité

Le retour annoncé de l’antique Splendeur

 

(décembre 2017)

Il était dit

Il était dit que de l’Espoir viendrait la Force, et que de la Force, l’Espoir tirerait ses dernières forces.

Il était dit qu’ils se reconnaîtraient, et que de cette reconnaissance naîtrait un nouvel Être, et que dans les bras l’un de l’autre ils se serreraient, se ressourceraient, se rasséréneraient. Et qu’ils puiseraient ensemble, à nouveau, à la source de Vie.

Il était dit que nul ne s’en apercevrait, à part le chant des oiseaux au petit matin.

Et ainsi vécut le monde jusqu’au jour du Lendemain.

Et ainsi mourut la nuit poursuivant ses chimères.

Et ainsi s’éteignit le feu dévastateur, et les mirages désincarnés perdirent de leur attrait.

Et alors, dans un nouveau monde encore incertain, le cours put attendre son temps, les failles purent s’ouvrir, laissant enfin passer la Lumière.

Il était aussi dit que les lendemains seraient chanteurs …

Equinoxe

Ainsi la nuit reprit son envol et rattrapa le jour. Et la terre se résigne et son poil s’épaissit. En ce temps d’équanimité, chaque chose a une égale valeur. Tout ce que nous avons vécu se resserre en une trame que la navette viendra traverser, la saison des choses tombées fait sa toilette, lèche ses pattes, et libère nos cœurs de leurs fardeaux trop pesants.

Le grand mouvement du ciel se poursuit, que l’on le veuille ou non.

Mais déjà pointe au loin, derrière l’aube noire, une lueur, un destin, un ancrage reconnu qui parle à notre âme de ces moments de gestation nécessaire, qui dans la nuit profonde vont poursuivre leur œuvre.

Nos pas se raffermissent alors que s’ouvre devant nous la grotte sombre à la bouche hurlante, où le bleu sommeil du lézard, aveuglé du soleil de l’été, chante encore ses brûlantes caresses. Inquiet, le vivant prépare ses quartiers, emmagasine ses noisettes, rit encore effrontément.

Au fond de son être il sait, avec cette sagesse intime qu’il ne tient qu’à nous de découvrir, que le vert va pourrir, que le vent va gémir, que le jardin va se rendre; lentement, inexorablement.

Qu’une couverture froide et dure va lentement se déployer, figer de brun les moindres recoins, jusqu’à sa victoire complète… elle aussi, illusoire. Car dans ce jeu des forces opposées, nuit et jour jamais ne gagnent complètement, jamais ne se rendent. Car on respecte l’adversaire ! Et aussi, parce que l’un a besoin de l’autre pour exister. Parce que quand l’un rayonne, l’autre est en friche et se repose, et prépare son retour sur scène. Comme une dernière tournée, consommée mais toujours renouvelée.

Arrivent ainsi les soirées douces et partagées devant le noir miroir de la nuit; les petits jours grisâtres et écœurés; les midis splendides où la conquérante s’efface de bonne grâce. La joie subtile et brillante de l’étole blanche qui fera son défilé de mode, transformant le monde, quelque temps, en magie silencieuse et éphémère.

Arrivent aussi, au cœur de la nuit, les regrets, les non-dits, les non-vécus, le cortège des avortés qui fait frémir notre ciel. Arrivent les sourdes vengeances, les désirs ravivés comme s’échappant d’une braise sous le velours des cendres. Arrivent les amertumes parfumées et l’apaisement de celui qui sait les regarder, comme une amante aux yeux brisés.

Viennent le repli, le corps écartelé entre rythme envoûtant et soyeuse paresse. La plongée dans de bienheureuses tendresses, avec soi-même, avec ceux qui partagent notre destin. La mûre réflexion pourra enfin jaillir, dans le mouvement ralenti des choses et des êtres, et comme une roue solide et bienveillante, viendra tracer en nous le sillon de futures épopées, fera éclore en nous le bourgeon d’un avenir sans tain.

(22 septembre 2017)