Trois scénarios pour l’espèce humaine

Le monde qui est en train de se construire n’est pas « durable » (au sens où l’entendent les brillants concepteurs de l’industrie « écologique » moderne, le fameux sustainable – il n’est pas soutenable, en effet)

Déjà, par l’épuisement des ressources, le mode et vie du « toujours plus » et les pollutions évidentes ou insidieuses qu’il entraîne, sur la nature et sur le corps humain – ça, on le sait depuis longtemps ;

et, parce que ce monde est caractérisé par la révolution numérique et transgénique, qui vont toutes deux faire des humains une espèce dégénérée qui aura du mal à s’adapter à la Nature telle qu’elle a toujours existé, et aux Lois du Vivant.

Donc, je vois 3 scénarii possibles :

  1. soit à un moment tout s’effondre sous son propre poids et absurdités, car trop en désaccord avec les Lois de la Nature et de l’Univers (= le chaos) (scénario « catastrophe »)
  2. soit les « nouveaux humains » (gens de raison ayant déjà pris du recul par rapport à la civilisation du « progrès » et adopté un mode de vie plus sobre et surtout, surtout, fait un chemin d’auto-guérison des encodages et traumatismes de l’enfance, inter-générationnels et archétypaux, des mémoires individuelles et collectives de souffrance et de violence, et éliminé ou du moins commencé à prendre conscience et à nettoyer les conflits qui en résultent, intérieurs et extérieurs, et qui sont à l’origine de tous les malheurs du monde : guerres et maladies – ces gens de raison donc, ainsi que les jeunes générations « conscientes ») se détournent de la société matérialiste, des écrans et des ondes mortifères, percent le voile des mensonges et des manipulations du politique et des autres pouvoirs (financier, industriel…) et s’en démarquent en ne leur donnant plus leur pouvoir, en changeant leur mode de penser et de consommer pour un mode de vie plus sain mais qui implique aussi des « concessions » par rapport au luxe et au confort auquel nous avons été habitués: voyages, tourisme, chauffage, clim, pouvoir d’achat, divertissements….) (= la Voie de la Conscience ou de la Sobriété, ou prise à l’extrême, la Voie du Survivalisme si on en arrive à un réel chaos prélablement) (scénario « idéal »), ou
  3. les Humains disparaissent d’eux-mêmes comme une espèce devenue nuisible à l’équilibre de la Nature, par un de ces phénomènes dont la Nature miraculeuse a le secret, par lequel elle impose, lorsqu’une espèce est en situation de domination numérique et met en danger l’équilibre du Tout, une régulation automatique et naturelle: épidémies, maladies incontrôlables qui se répandent dans la population, dégénérescences, débilitations, baisse de fertilité, naissance d’individus « débiles » dont la faiblesse ou les aptitudes insuffisamment développées ne leur permettront pas de survivre – non pas dans un monde illusoire, à l’image des projections fantasmatiques des dirigeants actuels – mais dans le monde inévitablement plus brutal et plus cruel dans lequel Dame Nature ne saurait éviter de nous plonger dans le cadre d’un rééquilibrage pour « faire baisser » l’espèce, soit avec des cataclysmes, soit comme dit précédemment avec des déformations génétiques ou déficiences mentales ou intellectuelles, la prolifération d’un prédateur (qui peut être d’ailleurs un virus ou une bactérie dévastateurs) (= la disparition par l’affaiblissement de l’espèce) (scénario « plausible »).

On voit bien que certaines de ces manifestations sont déjà à l’œuvre. Il va de soi pour ma part que je souhaiterais plus simplement que la seconde possibilité se mette en place pour assurer une « transition douce », mais je ne me hasarderai pas à prédire la probabilité de telle ou telle de ces possibilités, ou de l’une et d’une autre, soit concommittante, soit successivement….

(c) DM mars 2024

Note de lecture

Le Mas Théotime, plongée de nuit dans une Provence sanguine

Je (re)découvre Henri Bosco, un auteur que je pense n’avoir jamais lu auparavant, bien que son nom me fût toujours familier – sans doute, grâce à une institutrice d’école primaire, et à un polycopié à l’encre violette, inséré dans un cahier de poésie ? … Car sa prose l’est, poétique. Petit frère ou plutôt prédécesseur de Jean Giono, chantre d’une Provence exquise et secrète, sauvage, ne s’offrant point au premier regard, il explore les solitudes de l’homme et des paysages, enfouies entre les sillons, les collines et les friches. Son livre Le Mas Théotime m’a rappelé Un de Baumugnes, Colline, ou encore Que ma joie demeure, de Giono : tant par son style (un peu plus lent et attentiste cependant), que par le parfum de France tranquille que nous tenons imprégné dans nos gènes…

(je fais un aparté : à nous, générations d’après-guerre qui avons eu le bonheur de connaître encore un grand-père à la campagne… le grincement de la roue d’une carriole, la course effrénée des poules affolées par le cliquetis métallique du portail du poulailler, les lapins dans leurs clapiers ou l’odeur d’eau verte et sucrée des potagers et des vergers…. mais je m’égare !) …

… tant par son style donc, et les parfums de campagne et d’armoire à linge qui semblent s’évaporer des pages jaunies du livre de poche, que par son sens dramatique et l’atmosphère pesante qui émane de leurs lignes, comme si leurs auteurs avaient su renifler, avec quelques décennies d’avance, la terrible agonie de la France rurale que l’on déplore aujourd’hui. En effet, dans un cadre idyllique, où tournoient, sans menacer toutefois le bonheur des vivants, les ombres des ancêtres, où rougeoient les clameurs du couchant et où le lait fume dans les bols ébréchés, sur la grande table en bois du petit déjeuner, le drame latent qui transpire de ces pages en apparence tranquilles, laisse présager d’un dénouement compliqué, pour ces existences dont l’avenir se trame, avec elles, malgré elles.

Pourquoi Henri Bosco est-il tombé, comme tant d’autres, en désuétude ? Parce qu’il décrit un mode de vie sain, lent et intériorisé, propice à la réflexion, qui manque tant à notre époque surchauffée ? Parce que les valeurs qu’il représente – vertu familiale et retenue sociale, modestie, prudence – n’ont plus beaucoup cours aujourd’hui ?

Le Mas Théotime est un livre d’une rudesse emmitouflée de molleton, un livre qui sent bon la paille et la garrigue, les collines du Lubéron et l’eau des sources. Qui parle de la terre comme d’une personne, avec ses exigences, ses incertitudes et ses gratifications. Qui parle du ciel, de la pluie et des nuages comme d’un film merveilleux et parfois terrifiant, et des saisons comme d’un cycle éternel qui constitue la trame de la vie. Un livre qui nous fait sentir au plus profond de nous, l’attachement à une vieille bâtisse familiale et aux terres qui l’entourent, bichonnées, travaillées, honorées et récompensant de ses fruits des générations de mains et d’outils laborieux.

Qui nous rappelle à nous-mêmes, à nos noirceurs, aux tréfonds cachés de notre âme, et à la lucidité qui s’impose, pour nous en extirper, nous élever et sortir grandi, prenant opportunément les décisions justes et sages, celles qu’impose l’enracinement à la terre et le respect des lois naturelles… Dans un village de Provence, deux familles alliées se voient unies par de nombreux mariages, entre cousins comme ils s’en faisaient tant avant. Au milieu des aléas de la vie, un jeune garçon, sauvage et ténébreux, n’ose exprimer l’amour pour sa cousine vive comme l’air qui déstabilise son caractère terrien. Il rejette donc ces doux sentiments comme une mollesse de cœur pour laquelle il ressent une instinctive répulsion, comme s’il allait s’y noyer, ou perdre quelque chose au plus précieux de son être.

C’est un livre qui parle du sang, celui de nos ancêtres et de leur présence autour de nous.

Qui parle de la voix amicale des gens avec qui l’on vit, même dans le silence, des objets familiers qui nous entourent, et de la chanson du quotidien, répété dans ses gestes et multiple par ses humeurs, le temps, les événements.

Qui parle de choix, de silences portant leur propre compréhension des choses, de communication non verbale, d’instinct et de patience.

Qui nous emmène dans le monde de la terre, ce monde paysan qui fait sourdre en nous nos propres racines paysannes – car qu’était la France d’antan sinon un monde essentiellement paysan ?

Question bien d’actualité, il me semble…. voici un petit extrait sur le monde agricole… enfin ce qu’il était !

« J’avais depuis deux ans établi ma vie sur des lieux dont j’éprouvais la bienfaisance. Cette terre est forte et nourricière d’âme. Mon être s’y alimentait à des sources calmes; et j’arrivais parfois, sous l’afflux de cette fraîcheur qui s’épandait dans tout mon corps, à mêler mes deux sangs ennemis.

« Pour les êtres qui m’entouraient, ils m’apportaient des satisfactions et des soucis pareils à ceux qui me venaient de la terre. Les soucis qu’elle donne sont mâles et d’une progressive pénétration. Car elle satisfait à ce besoin inné de lenteur solennelle et d’éternel retour que seuls la croissance du blé ou le verdissement des vignes offrent à l’homme qui est aux prises avec la grandeur et les servitudes agricoles. »

Le vieux métayer Alibert qui parle peu, ses mains laborieuses posées sur la table quand il réfléchit ou attend une réponse, en signe de confiance. En lui coule le sang des veines de la terre, et la douce amertume des erreurs ou infortunes de ses ancêtres qui lui ont fait perdre leur propre terre.

Marthe, sa femme, saine, intuitive, ne posant pas de question mais toujours au fait de la meilleure et juste chose à faire.

Son fils, Jean, discret, dans la force de l’âge, et Françoise sa fille, brune et solaire, au visage franc et aux yeux directs.

Le voisin Clodius, cousin éloigné, teigneux et envieux, qui hante les lisières de la propriété dans l’espoir de faire fuir ce cousin arrivé de la ville et dont il se serait bien passé.

Le propriétaire, Pascal, sombre mais conscient de ses faiblesses, impétueux mais se maîtrisant, honnête avec lui-même et se méfiant de ses coups de sang, se coulant dans la légèreté du jour comme dans l’épaisseur du soir, avec la confortable impression du travail accompli et la satisfaction d’être parfaitement à sa place. Heureux de ce qu’il possède et ne renâclant pas sur ce qu’il n’a pas.

Geneviève, la cousine un peu dissolue, aérienne et passionnée, qu’il a secrètement toujours adorée mais jamais osé le lui dire, qu’il a repoussée même, et qui surgit dans sa vie, précédée de sa réputation, qui vient se réfugier chez lui, trouver l’apaisement des jours qui se ressemblent et de la nature qui console. Avec elle, entrera dans la ferme, un passé mouvementé…

Des personnages qui, tous, vont à leur destin, certains sans hâte, vaquant aux labeurs du jour et au repos de la nuit sans plus s’attarder sur de lointaines questions, et d’autres, tourmentés ou passionnés, qui y courent avec précipitation, saisissant les branches sur le côté du chemin pour s’y accrocher et accélérer ainsi l’inéluctable aboutissement de leur fragile existence terrestre.

Sur ce fond de vie campagnarde paisible vient se greffer un formidable suspense à la Hitchcock, qui m’a fait frémir d’impatience et frissonner d’anticipation deux ou trois nuits durant !

Le Mas Théotime, d’Henri Bosco
Gallimard, 1952 (ici Livre de Poche)

« Les médisances ont une telle force qu’elles remonteraient le fil du vent. Sans doute peuplaient-elles les airs, où je les respirais sans le vouloir. »

« Clodius espérait ainsi me dégoûter du bien et m’inspirer le désir de retourner à la ville. Selon lui, je n’aurais jamais dû en sortir. J’étais un intrus. Mais, soutenu par les Alibert qui ont beaucoup de patience, je sentis s’éveiller en moi une ténacité si paysanne que je fis tête assez bravement. »

« Geneviève était Métidieu jusqu’à la racine des ongles. Elle ne vivait pas, elle dansait. Sa vivacité me déchirait le cœur. Car mon amour est lent à se poser; il lui faut des objets un peu lourds et qui longtemps restent en place. Pour aimer j’ai besoin d’abord de m’attendrir et non pas d’admirer. Mais d’ailleurs comment admirer (du moins sans jalousie) une âme qui rit en plein vol quand on ne peut soi-même s’élever que faiblement au-dessus de la terre ?

(…)

« Elle était déjà grande, leste, un peu rousse, hardie et offrait alors quelque image d’une créature du vent, s’il en est. Ces créatures-là on peut bien les aimer, je pense, mais on ne les retient pas longtemps à la portée de son amour. »

« L’air n’est pas mon élément, mais la terre; et j’aime les plantes parce qu’elles vivent et meurent là où elles sont nées. « 

« C’est elle qui me révéla cette puissance et aussi cette qualité d’abri moral qui émane des murs du mas Théotime. La douceur m’en était depuis longtemps perceptible, mais je ne savais pas en définir la nature. Geneviève trouva le sens de la maison dont le signe s’était perdu depuis tant d’années. Loin d’y apporter le désordre, elle y venait chercher l’apaisement. Car elle avait imaginé sans doute que nous ne bâtissons jamais pour nous abriter seulement des fureurs de l’hiver, mais aussi pour nous mettre à couvert des mauvaises saisons de l’âme. « 

Révolution culturelle

Je serai brève (parce que ça n’en vaut pas plus) : cette cabale soit-disant culturelle contre Sylvain Tesson m’horrifie. On peut certes ne pas apprécier le personnage : une sorte de gentleman aventurier, moitié baroud, moitié gouailleur, arborant la chevalière au doigt, d’une intelligence brillante et d’une culture traditionnaliste et plutôt aristocratique, qui l’amènent à se projeter parfois d’une manière un peu hautaine… j’ai mis personnellement du temps à me faire à son style. Mais, à une époque où certains candidats au bac français ne connaissent pas le sens du mot « ludique » (véridique, vu l’an dernier), on ne peut pas ne pas reconnaître la qualité de ses récits. Ni éviter d’être happé dans son univers, à la fois onirique et réaliste, mythologique et accoudé au présent. Ceux-ci (ses récits) sinuent à la fois sur la surface de la terre et dans les profondeurs de l’âme humaine, à la recherche des racines de notre civilisation, autant que des détours d’un simple chemin de traverse, de traces perdues dans la neige ou de bêtes élusives… avec un amour généreux et une passion contagieuse.

J’espère bien que cette tribune stupide, publiée par des soit-disants poètes (dont l’instigatrice, d’après des bribes que j’ai pu en lire, ne commet, en fait d’écrits, qu’un plat étalage de ses fantasmes sexuels – on est donc tombé bien bas) – n’aura pas de suite; de là à dire que le talent engendrerait la haine, il n’y a qu’un pas… Heureusement, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer ce sectarisme, cette violente atteinte à la liberté d’être soi, d’être poète ou écrivain et d’avoir des convictions morales, familiales ou politiques.

Vraiment, la révolution culturelle à la maoïste que nous vivons est effarante, et je ne puis donner mon appui à la dictature du prolétariat littéraire qui s’infiltre dans notre société, relayée par certains medias (heureusement de moins en moins nombreux). Certes, on n’envoie personne au goulag (pas encore) mais ce rituel de crucifixion publique a quasiment la même portée symbolique, peut-être même plus forte.

S’ils devaient écouter toutes les voix dissonantes, j’imagine assez le casse-tête du comité du Printemps des poètes, dont les délibérations pourraient alors ressembler aux exclamations d’Alonzo et Ramon dans Tintin (les deux bandits de l’Oreille cassée qui ne savent pas viser) : celui-ci ? « trop à drrrroite! », et celle-là ? « trrrop à gauche » !, bref, comme dirait le perroquet, « Carrrrrramba, encorrr raté » !!!

Sur ce, je tire mon chapeau à Sylvain Tesson dont les ventes de son dernier livre (Avec les fées) explosent, marque de sa réelle popularité en France. Pour ma part, j’ai hâte de découvrir ce récit et je me réjouis sincèrement du succès de son auteur.


Pour une fois, le Figaro ne me déçoit pas avec un peu d’humour :

« Quelques idées pour remplacer Sylvain Tesson au Printemps des poètes » https://www.lefigaro.fr/livres/quelques-idees-pour-remplacer-sylvain-tesson-au-printemps-des-poetes-20240125

« Depuis quand être de droite ou de gauche est constitutif de l’art du poète? » https://www.lefigaro.fr/vox/culture/petition-contre-sylvain-tesson-depuis-quand-etre-de-droite-ou-de-gauche-est-constitutif-de-l-art-du-poete-20240119

et une pointe de sarcasme : « Patrice Jean : les pétitionnaires savent-ils que Baudelaire était réactionnaire? » https://www.lefigaro.fr/vox/culture/patrice-jean-les-petitionnaires-savent-ils-que-baudelaire-etait-plus-reactionnaire-que-tesson-20240121

Ni Causeur, mais je n’en attendais pas moins d’Elisabeth Lévy et son équipe : https://www.causeur.fr/sylvain-tesson-parrain-printemps-des-poetes-petition-liberation-274832

Note de lecture

Humus ou l’épopée de l’humanité

Je commence l’année par la lecture d’un livre offert par mon père : Humus, de Gaspard Koenig. Comme son nom l’indique : retour à la terre, au tout petit, au travail humble des vers et bactéries qui compostent le sol – une grande leçon d’humilité. Drôle et caustique à la fois, envoyant une volée de bois vert aux dérives de notre époque, tant celles de la société bétonnée et algorithmée que nous subissons de plein fouet, qu’à celles des éco-révolutionnaires qui s’illusionnent sur la capacité à changer le monde par leur seule volonté de bien faire : naïveté suprême face à la mécanique bien huilée du progrès. Dans les deux cas, le précipice gronde et appelle.

Je finis ce livre en larmes : larmes de détresse devant l’inutilité de l’homme, devant ses rêves de retour à la nature et ses illusions en déconfiture, devant ses combats perdus d’avance. Larmes devant l’insondable inéluctabilité de son destin : celui de périr et disparaître, individuellement et, peut-être, collectivement, avec toutes les autres espèces de cette planète, que quelques poignées de milliardaires, financiers, lobbyistes et politiques (et tout ceux qui, par leur complaisance, collaborent avec leurs agissements), jouisseurs, égoïstes et belliqueux sont en train de mener à leur perte. Larmes devant la déroute de l’expérience humaine, enflée de manière grandiloquente, embaumée, infatuée et, en fait, ne ressemblant à rien d’autre que le destin d’un ver de terre. Sauf que celui-ci ne réfléchit pas à son sort et que l’homme, pour se sauver psychologiquement, pour ne pas sombrer dans l’abîme de son désespoir, n’a plus que l’espoir d’une autre vie, réincarnée ou sublimée dans d’autres dimensions, d’autres galaxies, d’autres univers parallèles… ou transmigrée à travers l’humus que deviendra son corps, à d’autres étapes du cycle naturel et de la Vie… et n’a plus comme dernier recours pour vivre encore à peu près heureusement ses dernières années, que l’humble reconnaissance de sa toute-petitesse, la fin de son amnésie hypocrite vis-à-vis des faussetés qui l’ont convaincu de se détourner des véritables faits et du sens de l’Histoire, de se bloquer les yeux avec des peaux de saucisson sur sa véritable origine et ses devoirs d’existence exigés par le Vivant, de s’enorgueillir de ces « progrès » ridicules et souvent destructeurs, et s’inventer une légende mortifère, celle de l’humanité toute-puissante, créatrice de bien-être et de luxe, guerrière et discriminante, qui se positionne en maître de la planète, veut faire la loi et décréter le juste, mais éloignée de ce qui fut sa véritable raison d’être : suivre un chemin spirituel dans ce monde matériel qui, faute de crédit restant, ne peut s’achever que dans la catastrophe, sauf si…

Face à l’irrémédiable déroute de l’humanité, par-delà toutes les vanités, les ambitions et les illusions que chacun se fait de son pouvoir créateur, il ne nous reste qu’à reconnaître et vivre profondément, par le ressenti et l’acceptation, la réalité de notre appartenance au cycle de la vie, et rien de plus : nous sommes arbre qui croît, qui fait des fruits ou pas, glands qui retournent à la terre et donnent d’autres arbres ou pas, écorce, branchages et feuilles qui retournent à la terre et se décomposent, participant du prochain avènement d’un cycle.

Propulsée par la soudaine réalisation de l’histoire miraculeuse et éphémère de sa création ou de son apparition (selon qu’on croit à une intention ou pas), de son passage sur terre et de son éternel renouvellement, l’humanité peut alors reprendre sa place et pas plus que sa place au cœur d’un univers grouillant de vie et gluant de mucus : c’est au prix de cette prise de conscience et à ce prix-là seulement que l’on pourra envisager, pour l’humanité, un chapitre XXIII.

Ce livre a reçu le Prix Jean Giono et je comprends leur affinité : non pas tant dans le style (qui est aussi décapant que celui de Giono respire la force tranquille) que dans le cri puissant jeté au vent, contre les excès du modernisme, et les dérives du nouvel écologisme – qu’il soit start-upien ou révolutionnaire… et pour la défense de la terre, et d’une certaine homéostasie de l’humain avec le reste du vivant – entendu comme la large palette des règnes : animal, végétal, minéral – avec lequel nous partageons ce séjour sur terre.

Car, j’en suis pesuadée, le minéral a une vie, lente et millénaire, qui s’exprime dans les strates géologiques, dans la chaleur et l’humidité, dans la matière, le volatil et le liquide, dans l’explosion et la rétraction, dans le mouvement, aussi imperceptible soit-il, dans l’instinct de préservation et d’expansion, et dans la dissolution : qu’est-ce d’autre que cela, la vie?

Humus, de Gaspard Koenig,
Les Editions de l’Observatoire, 2023

texte et photos (c) DM, janvier 2024