Kyrie

La Vie en son chant tisse notre avenir

Un chant grave et serein

Ruban de soie et de fil qui défile

Et se délie, intime, au large de nos doutes

Celui qui l’écoute saura être guidé

Lui qui ne l’entend pas aura maints fracas

maintes tempêtes, maints naufrages

Les jours n’ont plus la candeur d’antan

Mais comme ils seront lisses encore ! Et doux comme

Un couchant apaisé sur la mer

Et toi, toi qui ne sais plus où tu vas

Toi qui pleures avec les étoiles dans lesquelles tu cherches un compas

Toi qui ris dans ton cœur quand ton cœur chante tout bas

Quand tu as vécu tout cela

Quand, lasse et furtive, la nuit te glisse entre les doigts

Quand tu n’as plus de honte ni de peur

Toi dont l’amour est si grand

Qu’il transpire à chacun de tes pas

Entends-tu souffler le nordet ?

Bruisser le corps des sirènes ?

Car la vie tapie en toi comme une murène

Prête à bondir à la marée nouvelle

Ancrée au fond de toi, saura te renouveler

Viendra te délivrer

Te pousser vers la mer

Te faire sentir à nouveau sur tes paupières

Le vent ivre de liberté

Car il est dit que dire n’est qu’un premier pas

Et le mot qui te dit n’est pas encore écrit

(c) DM

Noces sur le roc

Bretagne; toujours…

Mon corps se souvient, au contact du rocher. De ces belles journées d’été à sautiller dans l’eau froide, de ces longs ciels bleus striés de mouettes claires, de cet espace qui s’ouvre lorsque le reste n’importe plus. Mon corps n’est pas lourd, mais sous le soleil irradiant ce matin il s’enfonce dans la matière de ce rocher comme du beurre retournerait à son état liquide. Une agréable et légère sensation de brûlure effleure ma peau, sitôt soulagée par la brise du nord-ouest qui assouvit tous mes désirs. Mon corps que personne ne touche depuis des semaines fait un avec le roc, trouve dans son contact rugueux et solide un plaisir indicible. Sans mouvement aucun, l’union s’accomplit au rythme de ma respiration, sous la chanson des vagues lointaines.

Mon corps explore ces sensations familières qui ne sont pas nouvelles mais pourtant semblaient oubliées. Il se repose dans le soutien que forme la croûte terrestre sous les blocs de rochers, jetés et plantés au bout de cette plage depuis des temps immuables. Il se projette au plus profond de la terre, dans son cœur explosif et brûlant où toute vie fut engendrée et où bouillonnent encore moultes formes inconnues. Il flotte pour ainsi dire entre ce matelas terrestre, dur mais rassurant, qui lui transmet sa force, et le ciel qui s’étend comme un voile de mariage au-dessus de lui.

Mon corps prie pour ne plus oublier. Il s’étonne de la distance qu’il a laissée se former entre ces simples messages de la nature et lui. Son écoute avec les ans s’est émoussée, il est devenu sourd aux subtiles mélopées que murmurent le vent, le sable, la mer, le roc. Même les mouettes dans leur danse erratique semblent lui reprocher sa folie. Et pourtant il sait que ces messages sont ancrés en lui, et qu’il lui suffirait d’un peu de pratique, d’un peu d’écoute pour faire renaître ce sourd désir qui affleure maintenant en tension amoureuse. Mon corps honnit ces expériences sépatrices de l’enfance qui n’ont laissé que des marques de désaffection, des idées de rupture, des isolements, des négations, des coupures d’avec le monde et son immense cœur qui palpite.

Contrastes

Mercredi, veille de l’Ascension

 

17h – 438 kilomètres de bouchons

Le Rhône avale des giclées de soleil

Des milliers de parisiens font les Bidochons

Rouge sang la pivoine règne au jardin

 

18h – 499 kilomètres de bouchons

L’air du soir compose, la trêve s’impose

Soupir ; et un regard perdu vers les roses

Avant que la chaleur n’empâte leur éclat

 

19h – L’A6 implose, la campagne se repose

Le téléphone sonne et l’Europe débloque

Les lilas ont cédé la vedette à la glycine

Pâle, celle-ci néanmoins affiche

Une fière giboulée de clochettes sibyllines

 

20h – Gares surchauffées, aéroports survoltés

La maison respire et se gorge des fées

Lâchées par le jour qui tombe au ras des prés

Le chat l’intrus se glisse, discret

La chatte est déjà passée

 

21h – Manchester pleure

Une adolescente a incendié sa sœur

Les grands voyageurs atteignent, en sueur

Quelque havre, pour quelques heures…

Des pétales de rose au couchant

 

22h – La folie du monde se tapit, attendant sa revanche

Les anciens se souviennent

Leur regard transperce le temps

Du fond d’une photo qui livre son secret

L’aloé fléchit dans le vent

 

23h – Le ciel étincelle

La colline noire, inflexible aux accents des bourrasques

Souligne d’un trait immuable

Ce que n’ose dire

Le grand dragon ailé

Qui gît dans la vallée.

 

Minuit – La nuit s’est glissée

Dans les interstices

Des vieux murs étoilés

Tandis que se délient les cœurs et les oreilles

Le corps incertain se rebelle

 

Le ciel s’est paré de grandes traînées laiteuses

Voile de mariée enveloppant la terre

Un miaulement familier devient mystère

 

1h – Veillent encore les cœurs inquiets

La hulotte aux aguets

Ceux pour qui le chant du soir est un songe creux

Ceux qui chuintent des larmes de feu

Le lynx élusif et le renard fêtard

 

Comme un point de beauté,

Vénus au firmament descend…

 

(mai 2017, hommage à Nino Ferrer….et clin d’œil à Reiser !)

Neige heureuse

 

Il y a une joie secrète à voir arriver la neige

Une joie d’enfance

Une joie de pas feutrés et de soleils timides

Une joie de Noëls en paix

avant la grande Adolescence et ses réveils brutaux

Une joie de petite fille mêlée d’excitation

A voir poindre son nez la saison bien-aimée

Saison des lueurs, des guirlandes et du calfeutrage

Des boules de neige et des gâteaux aux marrons

 

Il y a dans la tranquillité de l’espace blanc une zone de réconfort

Une garantie de survie

Un apaisement des sens

Comme si la couverture ainsi généreusement déployée

Recouvrait tous mes maux et instaurait la trêve

Promesse de renouveau cachée fort à propos

Sous ce voile scintillant

 

Il y a dans le clin d’œil du rayon de soleil

Sur la campagne médusée de silence

Une illumination, éphémère et poignante

Dans l’étonnant jeu de forces au ciel narquois

Trouées bleutées et nuages filant bas

Un radieux message

 

Et dans le soir mulâtre qui s’annonce déjà

Dans les bourrasques dures et dans les yeux des chats

Il y a néanmoins quelque chose d’affable

 

Dans les paquets de neige qui glissent de mon toit

Le désolant goutte à goutte qui marque la fin du froid

Un accord tacite, une pâle consigne

Qui dit que tout est dans l’Ordre des choses

Et qu’il ne tient qu’à nous d’en connaître les Lois.

Equinoxe

Ainsi la nuit reprit son envol et rattrapa le jour. Et la terre se résigne et son poil s’épaissit. En ce temps d’équanimité, chaque chose a une égale valeur. Tout ce que nous avons vécu se resserre en une trame que la navette viendra traverser, la saison des choses tombées fait sa toilette, lèche ses pattes, et libère nos cœurs de leurs fardeaux trop pesants.

Le grand mouvement du ciel se poursuit, que l’on le veuille ou non.

Mais déjà pointe au loin, derrière l’aube noire, une lueur, un destin, un ancrage reconnu qui parle à notre âme de ces moments de gestation nécessaire, qui dans la nuit profonde vont poursuivre leur œuvre.

Nos pas se raffermissent alors que s’ouvre devant nous la grotte sombre à la bouche hurlante, où le bleu sommeil du lézard, aveuglé du soleil de l’été, chante encore ses brûlantes caresses. Inquiet, le vivant prépare ses quartiers, emmagasine ses noisettes, rit encore effrontément.

Au fond de son être il sait, avec cette sagesse intime qu’il ne tient qu’à nous de découvrir, que le vert va pourrir, que le vent va gémir, que le jardin va se rendre; lentement, inexorablement.

Qu’une couverture froide et dure va lentement se déployer, figer de brun les moindres recoins, jusqu’à sa victoire complète… elle aussi, illusoire. Car dans ce jeu des forces opposées, nuit et jour jamais ne gagnent complètement, jamais ne se rendent. Car on respecte l’adversaire ! Et aussi, parce que l’un a besoin de l’autre pour exister. Parce que quand l’un rayonne, l’autre est en friche et se repose, et prépare son retour sur scène. Comme une dernière tournée, consommée mais toujours renouvelée.

Arrivent ainsi les soirées douces et partagées devant le noir miroir de la nuit; les petits jours grisâtres et écœurés; les midis splendides où la conquérante s’efface de bonne grâce. La joie subtile et brillante de l’étole blanche qui fera son défilé de mode, transformant le monde, quelque temps, en magie silencieuse et éphémère.

Arrivent aussi, au cœur de la nuit, les regrets, les non-dits, les non-vécus, le cortège des avortés qui fait frémir notre ciel. Arrivent les sourdes vengeances, les désirs ravivés comme s’échappant d’une braise sous le velours des cendres. Arrivent les amertumes parfumées et l’apaisement de celui qui sait les regarder, comme une amante aux yeux brisés.

Viennent le repli, le corps écartelé entre rythme envoûtant et soyeuse paresse. La plongée dans de bienheureuses tendresses, avec soi-même, avec ceux qui partagent notre destin. La mûre réflexion pourra enfin jaillir, dans le mouvement ralenti des choses et des êtres, et comme une roue solide et bienveillante, viendra tracer en nous le sillon de futures épopées, fera éclore en nous le bourgeon d’un avenir sans tain.

(22 septembre 2017)