Berlin, 1989

C’était il y a 33 ans. En novembre, les premières brèches déchiraient le mur honni, le mur de la honte, le mur de Berlin. L’émoi était dans les rues… le rideau tombait sur un essai de régime totalitaire en Europe… avec le rideau s’écroulait un mur, l’une des plus ignobles inventions de l’homme pour le séparer de ses congénères… un mois plus tard, j’y étais, souvenirs !

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Le mur qui attisait toutes les curiosités…

Extraits de mes carnets : 

« Samedi 16 décembre 1989 : nous arrivons à Berlin, en bus depuis Amsterdam, vers 8h du soir… On se décide à prendre le métro, direction Kreuzberg… nom chargé de signes, lourd de fantasmes : un quartier qui jouxte le mur, un quartier des bars underground, des restaus turcs et des galeries d’art alternatif… fête dans un squat où des gens aux cheveux roses dansent comme des morts vivants sur du rock allemand … on dirait presque qu’à force de craindre la guerre atomique ils y sont tous passés… Religion apocalyptique et anarchiste, reconstruction d’un monde parallèle, contestation et défense des causes révoltées : les Kurdes, les Palestiniens, l’Afrique du Sud… Aider les autres à se construire un monde plus juste, nous qui avons vécu le suicide et survivons maintenant par des extravagances agressives… ? »

Un essai de régime totalitaire en Europe… mais, en sommes-nous si loin aujourd’hui ? Sous nos simulacres de démocratie, la toute puissante Union européenne et nos dirigeants bien-pensants n’ont-ils pas réussi à nous dicter à quelle heure nous pouvions sortir, comment nous chauffer, quoi manger, combien d’essence consommer, comment prendre soin de notre santé, comment penser, comment nous comporter avec les autres ? … Les rayons des supermarchés sont pleins, mais ironiquement, on vit dans l’angoisse permanente d’une pénurie quelconque…

Étrange image que cette ville divisée par un mur bariolé…

« Lundi soir, 19 décembre : nous avons longé le mur… Lieu de recueillement, de visite pour tous les Allemands intrigués des changements mais cependant patients et attentifs de ce qui se passe et va se passer. Des panneaux, des affiches se dressent, symboles d’une lutte pour la liberté sur terre et d’un désir de réunifier les esprits et les pensées d’un peuple déchiré. Étrange image que cette ville divisée par un mur bariolé, lieu à la fois d’inepties mais aussi de tous les slogans et toutes les aspirations librement exprimées. De l’autre côté, une blancheur totale et neutre, le refus de laisser libre cours aux individualités, le signe d’un socialisme exacerbé par la rigueur allemande. »

La Trabant, emblématique de l’industrie
et de la société est-allemandes…

« Le mur est le signe visible d’une exclusion, non pas réciproque mais voulue par l’Est pour éviter une « contagion » et endiguer plus sûrement son peuple ; en même temps, cette vision Ouest d’un mur où se cognent tous les appels, les supplications, résonnant et bourdonnant dans les oreilles de ceux-mêmes qui les envoient, mais hermétiquement stoppés par le béton. A l’Est, les frères, non pas ennemis mais amis refusés, confisqués, qui viennent maintenant parfois en visite et viennent recevoir leur begrüßgeld sur l’Europa Center, après quoi ils se précipitent dans les boutiques dépenser chichement leurs 100 Marks. »

Exorcisation de la décadence occidentale ? 

« Symboles d’un art renaissant, les motifs graffitesques du mur sont sans aucun doute une prière au passé autant qu’une crainte et une exorcisation de la décadence occidentale… Visages tristes et serrés des Allemands de l’Est, non pas surpris, peu étonnés de ce qu’ils voient, plutôt lassitude face à cette vie qu’ils viennent partager pour 1 jour mais qui n’est pas la leur. Lassitude, enfermement des désirs et étouffement des ambitions, des aspirations. Pas de frénésie ni d’excitation (lorsqu’ils parviennent) à l’Ouest, simplement une grande humilité, discrétion, une visite amicale et silencieuse, une découverte naïve comme celles que font en cachette les enfants frustrés, à peine joyeux car ils savent que leur découverte est subversive et que pour continuer à vivre dans les rapports humains, les mouvements qui sont les leurs, il leur faudra occulter cette partie d’eux-mêmes qui se révèle le temps d’une journée… sans quoi, la folie, le désespoir, la colère illimitée les guettent… »

La rage au cœur, l’espoir au ventre…

« Plus d’un mois après les événements qui ont bouleversé les cases de la conscience allemande en même temps que les institutions, cette ambiance de religion, cette atmosphère d’attente non pas tendue mais pleine d’espoir, à l’Ouest, calme et résignée à l’Est, me laisse espérer beaucoup de notre prochaine visite à Berlin Est. »

(Les brèches sont dans le mur, les visites se font plus fréquentes et faciles, les Vopos sont conciliants, mais le mur administratif n’est pas encore officiellement tombé…)

L’usine Van Houten répand une odeur persistante de cacao sucré
à des kilomètres à la ronde…

Je longe le mur à partir du canal, dans le quartier de Neukölln. « Une brèche dans le mur est devenue point de passage, au bout de la Obumant (?) Strasse. J’y parviens pile à l’heure de l’exode (le retour à l’Est à la fin de la journée) : quelques centaines d’Allemands de l’Est se suivent en flot continu, familles, entre amis, jeunes et vieux, tous des cabas à la main, avec des bananes, des jeans ou je ne sais quoi ; avec aussi une sorte de petite étincelle dans leurs yeux éteints, un timide sourire, une lueur de renouveau, une brèche entr’ouverte dans leur cœur…. A cette heure-là c’est impressionnant de les voir, les uns derrière les autres, comme faisant la queue une fois de plus, arrivant d’un pas pressé, s’extirpant de la pénombre pour s’exhiber sous les réverbères qui éclairent crûment cette scène à la fois douloureuse et créatrice d’espérance… Puis soudain un sentiment bizarre m’étreint : j’ai l’impression de photographier un troupeau inhumain de formes se rendant sans espoir à leur destin, je me sens presque intruse devant ce spectacle qui me semble indécent pour la naturelle pudeur humaine… Sous les arcades où la foule s’engouffre, l’ombre de l’inconnu et du mystère, l’attente du changement, une sorte de couloir où soudain corps et esprits se métamorphosent pour vivre une vie d’un autre genre… »

L’inconnu, le gouffre….

Mercredi 21/12, a ride inside the long long far east (à l’Est) : « Arrivés par un morne matin gris à Checkpoint Charlie, déboussolés par le nouveau monde qui s’offre à nous, les longues avenues envahies de Trabant et de Wartburg et quelques Lada et Skoda russes ou tchèques… bordées de très vieux immeubles en déconfiture et de quelques autres immeubles tout neufs ou en construction. Berlin Est apparaît petit à petit comme un vaste chantier… le paysage n’est que grues, pare-pains, structures métalliques et l’air résonne de bruits d’activités en tous genres. Nous déambulons dans le centre… jouxtés par les monuments très anciens de la Humboldt Universität ou des musées Boden et Pergamon, des monstres ostensibles de la culture socialiste se donnent un air frimeur de moderne, de splendeur érigée en orgueil populaire, d’expressionnisme exagéré du pouvoir socialiste : la Volkskammer, le palais du socialisme, élévations destinées aux élites du peuple… quelques immeubles marqués d’impacts de balles…»

« Les problèmes commencent en fait lorsque nous cherchons à bouffer… La guerre là-bas semble être une véritable institution, conséquence directe de la profusion limitée des biens de consommation et en même temps, résultat logique de l’esprit de discipline poussé à l’extrême… Il y a tout un art de la queue : on se place patiemment derrière son voisin, on avance d’un pas lorsqu’il fait un pas, on saisit le panier du clampin sortant pour pénétrer dans le magasin ; le nombre de paniers détermine en fait le nombre de personnes présentes à la fois dans le magasin. Conséquence logique il est interdit de rentrer dans un magasin ou un supermarché sans panier. Nous nous faisons engueuler au mini Markt de la gare, parce que nous n’avons pas de caddie, et nous avons beau expliquer que nous rejoignons le troisième larron qui en a déjà un, rien n’y fait.»

« Il apparaît frappant qu’il y a énormément de librairies à L’Est, où les gens peuvent venir lorsqu’ils sont en quête de menu fretin culturel : dans chaque domaine, un ou deux livres sont proposés et c’est la même chose dans les magasins de consommation: il y a une sorte de jeu d’échecs, trois sortes de casquettes, un peu plus de choix dans les chapeaux de mode mais dont les prix sont carrément prohibitifs. Des fixations de ski datant de nos ancêtres nordiques… la qualité apparaît médiocre dans tous les domaines. Même la bouffe est fade et inhumaine, comme stérilisée et sortie à la chaîne d’une usine du « meilleur des mondes »… la viande a une couleur brune de sang coagulé, pour rien au monde je ne goûterais au maigre choix de steaks. »

La Brandenburger Tor s’est ouverte des deux côtés….

« Vendredi 22 : aujourd’hui nous avons fait « les sauteurs de mur »! La Brandenburger Tor s’est ouverte des deux côtés, flux d’Allemands. Des gens partout sur le mur, sur les cars de flics, passage à l’Est gratos : décidément ça bouge ! … les Allemands ont reçu je crois le plus beau cadeau de Noël qu’ils pouvaient espérer : des Vopos souriants qui leur bordent le passage, dans les 2 sens, et discutent avec les flics de l’Ouest dans les brèches du mur.»

Les parapluies de la Brandenburger Tor…

J’ai senti, à ce moment-là, que je vivais un moment historique, comme il m’arrivera encore au moins une autre fois dans ma vie (Afrique du Sud, 1994, élection de Nelson Mandela). Grand moment d’émotion. L’espace intérieur s’ouvre, explose en feux d’artifice extérieurs, la vie est immense, ses possibilités indéfinies n’attendent que notre volonté pour manifester le meilleur de l’humanité. L’espoir vibre, palpable, au-dessus des têtes. Sous un ciel qui se déverse la foule est en liesse. Intensité électrique, contagieuse. Les Allemands manifestent, rient, hurlent, crient, boivent, grimpent, chantent et jouent de la trompette, sur le mur en lambeaux qui n’a plus lieu d’être. Le symbole est détruit, reste à tout reconstruire…

« L’événement : 15 H : les chanceliers Kohl et Modrow se serrent la pince, ainsi que les maires respectifs de Berlin et décrètent l’ouverture libre de la Brandenburg : foule, pressée contre les barrières, hurlements et sifflements, on boit du Sekt à volonté dans la foule et sous les parapluies car l’humidité monte. »

Il me restera, à tout jamais gravée dans ma mémoire, cette image, photo de mes premiers débuts de reportage (ainsi que les autres, que j’ai retrouvées et présentées ici) : celle d’un joueur de trompette qui, dressé sur le mur, sous la pluie, sonne la liberté, la réunification des peuples, l’avenir glorieux … comme les trompettes de Jéricho qui font s’écrouler le mur de la ville, ou celles de l’Aïda de Verdi qui annoncent le retour des troupes glorieuses.

……

Aurions-nous tant célébré si nous avions su ce que l’avenir nous réservait ? D’abord, les guerres du Golfe, Yougoslavie, Tchétchénie, Congo, Rwanda… puis 2001 le 11 septembre, Afghanistan, Irak, Gaza, Darfour… et tout le reste…. l’étau de la mondialisation qui se resserre… la dictature technocratique qui rôde… l’expérience Est-allemande aura-t-elle été un galop d’essai parmi tant d’autres pour un régime totalitaire en Europe ?

L’angoisse de ces questionnements n’a d’égal que le souvenir de la sensation de liberté qui a pu m’étreindre en de tels moments de passage, où l’Histoire flambe de tous ses feux, et nos cœurs vibrent à l’unisson. Où se sont déversées toutes nos aspirations, toute cette joie électrique, cette sensation immense d’ouverture? Comment recueillir cela en soi et l’accueillir comme l’état naturel de l’être, celui qui devrait être le moteur de notre monde et le sens de notre passage sur terre ?  Est-ce encore possible … ? 

Textes et photos (c) D. M.

Virevolte

Virevolte

Révolte qui sourd

grondement des vieux loups dans la forêt profonde

familière et féconde

qui nous ensemence et nous nourrit

Humus des années passées à comprendre, à grandir

Craquement sec dans la nuit épaisse

une branche enfin prête à céder sous nos pas

après des années de décomposition

la face de l’ombre

plonge son regard

en nous

fait volte-face

et libère la clarté qui dérange

Virevolte

Au goût amer des feuilles mortes

se mélangent les sucs des insectes qui grignotent

écorces, brindilles, pousses tout justes sorties

et les sables éphémères, en volutes émouvantes

se rappellent à notre conscience ensauvagée

en tempêtes

tourbillonnantes

de spirales enfumées

Lames de fond sur le gouffre de l’âme

qui cinglent tout sur leur passage

Virevolte

Tout revient tournoyer autour de nous

en longs lambeaux effilochés

à moitié digéré, à moitié consommé

tout revient nous obséder

demander son compte

travailler notre naïveté

en saccades obscures

cycles absurdes dont nous peinons à sortir

et tout tourne sans cesse

en vagues déferlantes

qui nous hypnotisent et nous hantent

Virevolte

Tout autour de nous n’est que pensées, émotions élaborées

émanant du monde subtil

Toute forme autour de nous s’estompe

des ombres se redressent et viennent réclamer leur dû

raclant le sol et rechignant à évoluer

avant de retourner en poussière

tout n’est que spirale du vivant

apparu, transformé, disparu

Virevolte

Tout autour de nous vibre et se dilue

comme des lucioles

dans l’air qui sature et étincelle

Tout n’est qu’Amour et confusion

Tout n’est que Paix et illusion

(c) DM

Poésie des cargos

Cargos, monstres marins qui flottez

sur un monde post-diluvien

qui vous ressemble et que vous animez

de votre présence hiératique

Portes ouvertes sur l’horizon,

sur des lointains chargés de fantasmes,

d’impressions fortes et d’odeurs écœurantes

Le cargo me touche,

le cargo roule et tangue et fait tanguer mes rêves

Le cargo évoque d’autre rivages, d’autres visages

posé là avec ses containers

sa tourelle et son ancrage

en attente d’un acconage

Morceaux choisis et résumés de vie

empilés, amassés, imbriqués tel un jeu pour enfant

conteneurs d’ananas, journaux, meubles et ferrailles

pièces de véhicules, machines à laver, papayes

cartes postales d’un autre temps, d’un autre univers

sous d’autres tropiques et d’autres latitudes

Edifices aux couleurs de rouille

vous voguez, impérieux

au sommet des crêtes et dans le creux des houles

indifférents aux hurlements du vent,

à la furie destructrice de l’océan,

sereins sur les mers d’airain

Parfois à l’abri d’une rade,

en l’attente d’une cargaison,

d’un accostage, d’une nouvelle balade,

vous affourchez, imposants et altiers,

et dans la flamme du jour qui s’estompe,

vous faites miroir aux milles facettes

reflétant les facéties du couchant

Véritables empires flottants

dont les coursives le soir s’illuminent

rappelant que vous êtes aussi une ville

où rient, chantent et boivent des humains

vibrante de leurs espoirs et de leurs tragédies

Quelles sont ces vies que vous portez ? 

Et celles que vous desservez ? 

Quels trafics, quels déménagements,

quel besoin pour les humains

depuis le début des temps

d’échanger et de commercer ? 

Vous êtes posés là, hauts comme des immeubles

énormes et immuables,

et pourtant dérisoires comme tout puissant

qui ignore encore sa déchéance certaine…

Vous évoquez des ports aux structures métalliques

où s’échangent des femmes et des coups de couteaux

des cités des pays aux consonances exotiques,

déserts, détroits, glaciers ou lagunes

des lignes de côte aux contours poétiques

sublimés par notre inconscient voyageur

Dignes d’une aquarelle, d’un trait de pinceau sombre

vous faites appel à nos mémoires communes,

vies antérieures ou gènes ancestraux

portés comme des plaies à l’intérieur de nous

qui n’attendent qu’un clin d’œil pour se libérer

Et une porte s’ouvre, un vent se lève et fait rêver

La poussière s’envole en tourbillons légers

Nous sommes dans un ailleurs de notre psyché

un espace où rien n’ose plus nous entraver

Intouchables, infaillibles,

nous touchons à ces terres lointaines

où tout peut encore être recommencé.

(c) D. Marie

Illustrations : (c) peintures de C. Marie « Vladivostok » et « Helsinki »

Epoques

Une porte se ferme

D’autres s’ouvrent

La Vie est portes, fenêtres et poignées

Charnières, passages en courants d’air

Volets ouverts ou fermés

Petits moments volés à la table d’été

Loquets rouillés,

Suintement de suie par la cheminée

Au Jour, les vaguelettes polissent nos coeurs usés

A la Nuit, le Destin s’apaise et l’inconscient se nourrit du présent

A tâtons, dans le Clair-obscur,

Nous poussons des portes et ouvrons des fenêtres

Asphyxiés par l’air renfermé de la maison secrète,

Les scènes de déjà-vu, les pincements de coeur, les nostalgies aigües…

L’air étouffe au-dedans et oppresse au-dehors !

Les dédales d’escaliers et de couloirs se succèdent –

On ne reconnaît pas les lieux :

Par où sommes-nous donc passés ?

Les doigts, agiles, tournent des poignées, lisses ou carrées,

Ecorchent les toiles d’araignée

Nos yeux sont embués par la Pluie

Le bout de nos doigts, hypersensibles,

appréhendent le réel

Scintillants comme des antennes

et sensibles au moindre frôlement

Nous effleurons les portraits des âmes aimées

A la recherche d’un signe ou d’un retour fugace

« Comment en être arrivé à renier cela, à prendre ce tournant, ne pas voir celui-là ? »

Les placards se taisent et les tiroirs muets,

Gueules béantes, à moitié seulement

délivrent leurs secrets.

Le Secrétaire est resté ouvert,

un porte-plume à l’encre séchée,

une lettre d’amour inachevée…

Dans la cuisine, bien rangée,

deux casseroles de cuivre brûlées

Quelques miettes sur la toile cirée

A la Cave un grand escalier

dont nous connaissons une à une les marches

leur largeur, leurs aspérités,

et le dernier échelon cassé

Le soupirail distille un peu d’air fané

Au Grenier, l’odeur de sable, de pastèque et de fumée

Des vieilles malles au cuir doré, mal scellées,

Dégorgent de quelque robe à l’odeur de bière, au fumet du passé,

quelque photo endimanchée

Mais notre coeur frénétique

fouille encore les coins cachés des choix, des absences, des inconscients désespérés

des attirances et inimitiés, trahisons, échéances et espérances

Et craquent les lames du plancher,

Et tombent quelque écailles de plâtre coloré…

Les chambres sont tranquilles,

Certaines dans une paix immobiles

Un rayon de soleil, par les persiennes,

joue avec la tenture du lit…

D’autres, un tantinet agitées

tressautent encore d’un cinéma muet

dont nous connaissons bien les paroles,

mais avons oublié le dénouement

Jusqu’à trouver la chambre,

où tout se résout,

tout se termine…

Le Salon, doux et écorné –

tendres paroles sous le plafonnier –

et la Table sous le platane

Où se tinrent tant de déjeuners

La Salle-à-manger rustique

où le couvert déjà mis, classique

sous l’oeil des portraits de famille

nous fait un clin d’oeil hiératique

Dans la salle-de-bains victorienne

rôdent des nudités exquises

dansent des abandons et des provocations,

des défiances insoumises…

Et sur le chemin de gravier,

quelques pommes sures ont tombé

l’appentis est mal fermé

les charnières du battant déglinguées

Les réserves de bois, bien étagées

et les outils sont rangés

Et tout au bout du jardin, ô surprise

Parmi les ronces et les cerises,

un vieux ballon crevé nous sourit …

(c) DM

Note : la Vie est choix perpétuel, parfois conscient, souvent inconscient

Et tout ce qui ne s’est pas fait a fertilisé nos projets,

nos amours, notre avenir

et nos aspirations les plus intègres et néanmoins les plus dures à manifester

Ce poème est une ode aux choix évincés, aux non-dits, aux non-choix, à nos désirs, à nos regrets, et à tout ce qui nous a faits et défaits….

Prière pour la Fin des Temps

Vivant, décédé ou encore à naître

Que ton Coeur soit pur et lumineux

qu’il éclaire ta route au-devant

et irradie autour de toi

Qu’il soit phare pour les Autres

et pour toi, guide et réconfort,

afin que ton chemin soit joyeux

Que chaque Jour soit comme le Dernier,

beau et bon et bienfaisant

comme un pain chaud sorti du four

Et que ton Cœur se réjouisse

lorsque les étoiles pâlissent

au firmament

Que la Terre soit fertile et nourricière

et notre Mère à tous

Que le Soleil, la Lune et les Etoiles

redeviennent nos parents, nos frères, nos soeurs et nos enfants

Et les éléments, notre levain

Que chaque Cœur vibre d’Amour et se relie au Sans Objet

Cœur de l’Univers, dont il est à la fois Tout et Partie

Que chaque Cœur vibre de Compassion pour tout ce qui est Vivant,

sachant que toute la Création est issue d’un même atome,

du même abîme,

et vibre du même Son originel

Que homme et femme se chérissent et se complètent

et se donnent naissance l’un à l’autre

comme la vigne et le raisin

ou les deux sarments d’une tresse

Que tes yeux donnent du sens à ce qu’ils regardent

Et que tu sois béni mille fois en retour

par le regard des Autres sur toi

Que ta bouche chérisse le silence

Et tes oreilles attentives au bruissement des feuilles

au gargouillis de l’eau

au murmure discret des étoiles

Que tes mains caressent sans chercher à saisir

et offrent au Monde ce de quoi tu es fait

Que ta langue, ta peau goûtent à l’Infini

et aspirent à sa Tendresse

Que ton langage soit prière

Que ton Verbe soit Chant,

et qu’il se fasse chair

Que ton respir soit doux comme celui d’un enfant

Tendre ton inspir

Généreux ton expir

Cycle précieux en harmonie

avec la grande respiration de la Terre

Que tes hanches soient souples et ta démarche sûre

Ondoyante ta facture et ferme ta direction

Que tes pas te guident où tu es en harmonie

où ton cœur et ton corps palpitent sans faire de vagues,

profonds comme un lac d’altitude

seulement ridé à la surface

par quelque facétie du vent

le frémissement de tes sens

et la Noble expression venue du fond

de tes émotions

Que tes bras accueillent le Grand Mystère

et l’embrassent chaleureusement

Qu’ils reçoivent en retour

le frisson du Vivant

Que ton Esprit soit clair et ta pensée limpide

Que tes pensées, tes paroles et tes actions

résonnent comme un acte d’Amour,

alignées sur le Grand Principe

car chacune d’entre elles

influence le Tout

Que ton plexus soit fort face à l’adversité

et ne daigne ni fléchir ni se décourager

Que ta pratique soit ainsi, simple et dédiée

Que chaque être voie le monde

avec l’âme d’un enfant

dépourvu de toute intention de nuire

Que Notre Cœur vibre à l’unisson

avec le reste de la Création

Que tes yeux enfin scintillent

de toutes les Beautés du monde

qu’ils reflètent l’effervescence de ton Cœur

ils seront un signe de ta Joie d’être en Vie

Reçois la vie à pleines mains

et les bénédictions seront légions.

(c) DM

1,2,3 Soleil !

Un – extase du vent

Deux – grand cercle arctique

Trois – apnée cosmique

Soleil ! Tu rugis comme la lionne

 Et la Terre s’assoupit un instant

            lovée contre le crépuscule

            et rêva de jour

Les yeux mi-clos sur ce monde nouveau

            qui bientôt allait s’éveiller

Et chacun s’enferma pour mieux comprendre sa vie

            espaces clos

            où enfin le Sacré

            put se déployer

Les monts, les forêts, les animaux se reconnurent

            présence engagée

            et de concert murmurent

Océan ! Tu ondules comme le serpent

Et l’humain plongea en soi

            embrassa le calme

            et s’en réjouit           

Chacun se souvint

            des beautés de sa vie

            trésor englouti

Et dans le cœur de l’Homme

            se ralluma la flamme

            minuscule mais ferme

Terre ! Tu vrombis comme la libellule

Chacun revint à l’essentiel

            et s’en trouva heureux

Douceur du présent

            chaque instant précieux

            invisible, saisissable

Et les moments heureux de défiler un à un

            trame d’une vie

            millions d’existences enlacées

Air ! Soyeux comme le fil d’araignée

Tu nous relies, tu nous inspires

Et tout recommença

            la Terre s’ébroua

            ouvrit un œil

            prit une inspiration – et ce fut un éclair !

            puis expira – et ce fut un baiser

Lune ! Comme tu danses avec les Etoiles

Là-haut dans l’Ether

            s’ouvre le règne du Grand Devin

(c) DM

Avant que j’oublie

Avant que j’oublie

les mots les colères

Avant que j’oublie

de dire et de taire

Avant que ne grandisse le silence

Au fond du silence

des notes dansent

elles ne comprennent pas

mais elles savent

Avant de saisir

la main du destin

de m’en faire un ami

Il sourit au loin

fort de ses incertitudes

Loin des tumultes loin des envies

loin des extases et des agonies

quelque part au fond tranquille

coule la source

toujours vivante

et sidérante de beauté

Quelque part passant si tu vois

sacrifiés ceux qui chantent aux étoiles

découvre-toi

Avant que ne se délie

cette existence terrestre

bafouée, galvaudée

mais aussi aimée dans toute sa gloire

Autant pour ceux qui la renient

elle n’est ni simple ni jolie

Que de ceux qui en font trop

elle s’enfuit

Avant que ne se referme une fenêtre

avant que ne se glisse l’indifférence

soyeuse dans tous ses replis

Avant que j’oublie

la clé des profondeurs

Laissez-moi encore chanter !

Il était une fois…

C’est l’histoire d’un lutin des prés
Qui aimait gambader
Tout joli joli

Tellement joli que tout un chacun
Voulait se l’approprier

Lui ne pensait qu’à courir
Libre comme un papillon
Et butiner de ses doigts dorés
La nature en ses bienfaits

Autour de lui sans y penser à mal
Tous les animaux des bois, des prés et des marécages
Et même tout lointain là-bas au pays de l’En-Mer
Et au-delà dans les savanes et les cîmes enneigées
Le voyant passer, voulaient l’attraper

« Oh joli lutin des prés des prés
viens par ici que je te touche, que tu me souries
que je t’attrape et te caresse
que j’entende ta voix enchantée
et ton rire ruisseler comme des goutelettes nacrées
de tes jolies petites dents je veux sentir la morsure
de ta peau de velours je veux toucher la douceur
de tes jolis petits yeux de perle
je veux comprendre le regard
je veux grandir à tes côtés
te tenir fort, te retenir ! »

Or le petit lutin voulant faire plaisir
souvent se retrouva pris au piège
car il aimait sincèrement
tous ceux qu’il rencontrait
la chouette hulotte et le faon
la fourmi et le renard
le chat et l’araignée
et les mouches et les éléphants

et aussi ses confrères humains
le peuple des élémentaux
petits lutins de la forêt
fées, elfes et farfadets

Alors de temps en temps, il s’arrêtait dans une hutte
dans un champignon-maison
sous une frondaison
dans les branchages ou dans un palais
partout où logeaient ses amis

Il parlait, il rassurait, il comblait et se laissait combler
On le nourrissait, on lui chantait des chansons
on le gâtait de toutes sortes
si bien qu’il y prenait goût aussi

Mais il ne se rendait pas compte
Que même chez les gens bienveillants
Il y avait des pointes d’envie
On voulait lui voler son aise,
On enviait sa décontraction
La chance qui lui souriait dans la vie
Parce que tout lui réussissait
Car lui qui avait un bon rapport à tout le monde
Ne se faisait pas d’ennemi
Mais son ennemi c’était l’envie
On voulait lui soutirer sa parole,
Sa lumière, ses longues jambes,
Sa liberté, son air auspicieux,
Son aise et sa prestances gracieuse
Sa loquacité, son audace,
Et son caractère généreux,
Sa joie de vivre et son maintien,
Bref tout ce qui lui appartient

Et bientôt sans s’en rendre compte
Car en surface tout était gai,
Il songea de tristes pensées
Des idées noires et maléfiques
Des désirs morbides et des oeuvres sataniques
Car en fait c’étaient le flux
Des envies et des jalousies
Des ombres noires et des manigances
Qui finalement l’atteignaient
Et ternissaient son apparence

Tant et si bien qu’un jour il vit
Clair comme une flamme pure
Qu’il y avait perdu son âme
Et laissé échapper le sens de sa vie

Alors le petit lutin un peu triste
Se retira dans son manoir
Sous la mousse du grand chêne
Il médita, médita, médita longuement
Chanta des psaumes et se fit des onguents
Pria le ciel et tous ses éléments
Il pleura beaucoup, rumina
Et même parfois voulut mourir
Il se dit c’est bien dommage
Que sur cette magnifique Terre
Chacun ne puisse à son avantage
Avancer comme il peut et faire taire
En soi ses mauvais élans
Plutôt consacrer son temps
A faire prospérer ses talents
Par pour soi seulement
Mais aussi pour les autres
Pour contribuer à vivre ensemble
Dans une société où chacun a la place
Qui lui est impartie à la naissance
Avec cette part d’acceptance
Et de résignation, mais aussi d’optimisme
Et de joie d’être vivant
Que cela simplement comporte

Pour sa part, il réfléchit sur le sens de sa vie
Se réappropria ses désirs
Et voulut tout recommencer
De zéro, mais différemment
Il apprit qu’en se dispersant
Il avait creusé des sillons
Élargi des failles sans le vouloir
Dans la carte de sa destinée
Affaibli son chemin de Vie
Laissé entrer ce qui ne devait pas
Et laissé s’envoler le fil d’or
qui constituait son bonheur

Alors il prit la résolution
De n’écouter plus personne
Que de sa petite voix la chanson
De reprendre ses pérégrinations
Mais sans trop s’écarter de son chemin
Et tant pis pour tous ceux qui râlent
Qui lui fairaient des grimaces sur le bord du chemin
Ou qui seraient déçus
Car cette fois-ci il ne s’arrêterait plus
Ou très peu, seulement
Pour une poignée de main, un baiser, une rencontre
Mais sans s’attarder, tout en faisant le bien
Là ou il le pourrait
Et même les plus heureux
Ou les rois tout-puissants
N’y prêter que peu d’attention
Mais en gardant toujours à l’esprit
Que le plus important pour lui
Était de préserver son trésor
Celui qui ne se partage qu’au compte-gouttes
Par peur de le voir se ternir
De le voir démolir et avilir
Si on le sort devant tous les yeux
Y compris ceux des envieux

Alors il y eut de difficiles décisions
Des reculs, des adieux, des partitions
Et petit à petit au fond de lui
La clochette enchantée se remit à résonner
Ding, ding, dong
Trois petits coups pour lui redonner
L’envie de chanter et de danser
Et de courir de par les prés
Guilleret et d’offrir au monde
Ses chansons et ses oraisons
Ses prières et sa gaité
Sans plus se soucier
De ceux qui l’entendraient d’une mauvaise oreille
Il irait chez ceux qui ne trahissent point
Et chercherait des alliés parmi les Authentiques
Ceux dont le cœur pur est toujours là pour servir
Ceux qui ne renient point les atouts
Que leur a donnés la vie
Et ne se trompent point de combat
Et savent partager la joie
D’être là d’abord pour soi,
Et ensuite pour les amis,

Mais quand on dit toujours…
c’est tous les matins et tous les jours
de la sainte vie que l’univers nous octroie
et dont le monde nous bénit
Soirs et matins et encore les nuits
Fidèles à cette nature enfantine
Qui reste maître en la demeure
Qui constitue notre essentiel
Et que trop, lâchement, laissent tomber.