De la similarité du désir et de la colère – et de la nécessité de les exprimer

Les deux sont forts. Les deux sont Energie de vie. Les deux sont un élan, difficilement répressible. Les deux nous brûlent et, s’ils ne trouvent pas expression juste et satisfaisante, ils nous consumment de l’intérieur.
La raison peut nous dicter de ne pas leur donner voix au chapitre, de ne pas leur donner suite. Mais qu’advient-il alors de ce formidable élan de vie, peut-il se transformer tout en restant fidèle à ce que nous sommes ? Si l’on réprime trop longtemps, ou désir, ou colère, son flot puissant cherche des passages, tel un fleuve contrarié. Et bien souvent, il a va aller se faufiler, là où il y a des failles, comme un mur de barrage fissuré. En nous les failles sont nombreuses, fissures de la petite enfance, défaillances psychologiques, tendance à la fuite, à l’écartement, à l’isolement, au durcissement… le flot de désir ou de colère entravé va venir nourrir ces tendances, les renforcer, et ainsi, renforcer notre souffrance.

Le désir est légitime, disons-le bien haut. (Il semblerait que parfois, certaines traditions l’aient banni). Ainsi que la colère ! Elle nous alerte, que nos limites – les limites de notre bien-être, l’équilibre de notre monde intérieur, le respect de nos valeurs – ont été dépassées, débordées, submergées.
Le désir pour sa part nous rappelle que nous sommes vivants, porte en nous et au-dehors de nous les grandes lignées non accomplies de nos ancêtres, exprime notre liberté aussi, notre particularité, notre caractère, bref, notre individualité. En ce sens il est légitime et même, vital.
Lorsque désir et colère se taisent, étouffés, cela ne veut pas dire que la force n’est plus là. Elle risque bien de se retourner contre nous. Entrent alors la tristesse, la conscience de la mort et son cortège de nostalgies.
Lorsqu’ils se taisent, apaisés, c’est qu’ils ont trouvé libre expression et, surtout – très important ! – une écoute, un répondant. Un désir assouvi sans contrepartie, voir sans résistance, sans combat, ne laisse qu’une faible trace d’apaisement. Il mène à la lassitude, à la répétition. Le désir – un désir – doit se maintenir pour alimenter la sensation d’être en vie. Une motivation profonde – par exemple, le désir d’être soi – peut mener à différents types d’action, tout en restant constant, même s’il parvient à des étapes d' »assouvissement ». Idem, le désir de liberté. D’ailleurs, comme pour la liberté, la limite de nos désirs s’inscrit là où commence ceux des autres….

Le désir, comme la colère, sont nos guides pour l’action. Ils nous permettent d’évaluer, et d’un, ce qui est bon pour nous, et de deux, ce qui ne l’est pas. (Partant du principe, bien sûr, que nos désirs sont « raisonnables », donc authentiques, provenant pleinement et sereinement de notre nature profonde – ce qui nécessite déjà un vrai travail sur soi, pour identifier ceux parmi nos « désirs » qui sont formatés par la société, la morale, la publicité, le besoin d’appartenance, le mimétisme, etc. et les déraciner pour ne laisser place qu’au « vrai » désir, celui qui émane de la profondeur de notre être, qui correspond à notre mission sur terre et peut être accompli sans violence, c’est à dire sans nuire à aucun autre être vivant). Ils nous permettent d’élaborer un plan pour notre action dans le monde, pour reconnaître ce vers quoi nos passions nous poussent, ce pour quoi nos talents sont utiles, et ceux de nos besoins qui peuvent et doivent être comblés.

Pour la colère, il en va de même : il est de ces colères qui sont téléguidées par nos douleurs profondes et qui sont purement réactives, parce que nous n’avons pas encore résolu l’historique de nos souffrances, et alimenté nos processus de guérison. Il est, par ailleurs, des colères légitimes (ce qui ne veut pas dire que les précédentes ne le soient pas, mais elles requièrent un autre type de traitement, c’est à dire : identification du « point douloureux », traitement de fond par la racine, relation de soi-même avec son enfant intérieur, amour, compréhension, guérison). Des colères légitimes donc, dont la vie de tous les jours nous offre bien des occasions : incompétence flagrante, mauvaise conduite, négligence ou exploitation, ou simplement mauvaise foi d’une personne avec qui nous sommes en relation – personnelle, professionnelle, quotidienne (banques, assurances, services publics, commerçants…). Ces colères-là doivent s’exprimer et trouver une résolution, mais comment ?

Il est possible d’exprimer sa colère de manière froide et réfléchie. La personne en face a, presque toujours, des circonstances atténuantes. Lorsqu’on parle d’une « institution », c’est plus difficile de lui trouver des excuses. Mais sachant que cette « institution » est quasiment toujours représentée par une « personne », faire peser sur la personne le poids de la responsabilité de l’institution est injuste. Sauf, si la personne s’identifie ou est le créateur de cette institution.

Bref. Parfois, simplement dire « je suis en colère », permet d’éveiller chez l’interlocuteur – ou pas, en fonction de ses schémas à lui – un éclair de compréhension, voire de compassion ? … et le désir de nous apaiser, de faire avancer notre cause, de venir combler tout ou partie de nos manques. Souvent, cela ne rencontre qu’une froide rhétorique, augmentant alors encore notre colère. « Le mur » qui se dresse devant nous, le sentiment d’impuissance, semblent alors encore attiser le feu qui nous brûle, qui nous démange. Il ne faut alors surtout pas foncer tête baissée dans le mur. Ou c’est là que, pour commencer, la colère va nous ronger de l’intérieur, bien loin de régler efficacement nos problèmes.

Il en va de même pour le désir. Un désir contrarié doit être exprimé, légitimé, relativisé. Parfois, se rendre compte des limites légitimes à ce désir (le désir d’un(e) autre, ou les conséquences dévastatrices, que nous n’avions pas envisagées, de l’assouvissement pur et simple de notre désir) suffit à le mettre en sourdine. Parfois, d’autres valeurs prennent le dessus : le respect des autres, la capacité de se dominer, d’être maître de soir, la fierté de savoir faire entrer la raison et savoir surmonter, ou sublimer, notre désir – ou notre colère.

Le désir et la colère doivent s’exprimer « sous contrôle médical ». J’entends par là, la haute autorité en soi qui régit ce qui est bon pour nous. Faute de quoi, le flot trop puissant, indompté, tel un torrent de montagne gonflé par des pluies diluviennes, va sortir, certes, mais en faisant des dégâts dans notre tuyauterie intérieure. Et le corps s’en ressentira (le lendemain, fatigue, brûlures, douleurs articulaires, instabilité mentale, perte de pied, perte d’ancrage, sensation de flottement, de désaxage, d’amarres trop vite larguées…)

En conclusion, le désir et la colère sont respectables car ils sont l’expression de la force vitale en nous. Nous pouvons les ressentir en divers points du corps et identifier le début et la fin de leur surgessence (mot inventé, de « surgir »). Nous pouvons accepter et ressentir cette énergie, sans nous faire dépasser moralement, mentalement, psychologiquement, par elle. A nous d’identifer ensuite si leurs sources correspondent bien à notre chemin de vie – ou si elles sont factices (et là, l’un comme l’autre s’évanouissent d’eux-mêmes). Dans le premier cas, évaluer le cours de notre action pour en trouver l’expression la plus simple, qui ne provoque pas davantage de souffrance, ni pour nous, ni pour autrui, ni pour la nature, ni pour un quelconque être vivant. Cette expression peut être pleine de compassion, peut se faire progressivement, peut faire appel à la faculté de compréhension des autres, à leur faculté de recul, de réflexion, d’auto-critique – ainsi qu’à la nôtre ! Cette expression peut trouver des voies insoupçonnées – qui parfois apparaissent, par le dialogue, la réflexion, la méditation.

Avant d’acheter quelque chose, par exemple, se poser trois questions :
1) en ai-je vraiment besoin ?
2) quelles sont les étapes du processus de production de ce bien / service ?
3) la production de ce bien / service et mon utilisation se font-elles sans causer de souffrance ?

Même chose, avant de MANGER, ou de DIRE quelque chose… en ai-je vraiment besoin ? (parfois, oui !), par quelles étapes et comment le dire ? et cela va-t-il / peut-il causer de la souffrance (ce qui peut arriver, même si l’intention n’était pas là).

En fait, ces trois questions peuvent être posées avant tout type d’action, de parole, et même pour nos pensées (car oui oh ! oui nos pensées peuvent être violentes), menant progressivement à un assainissement de nos actes et une mise en concordance avec nos paroles et nos pensées, c’est à dire : le bien-être, le bonheur, l’équilibre, même dans l’adversité. Et aussi, comment assouvir nos désirs et apaiser nos colères, sans causer davantage de souffrance en nous et autour de nous. (Je n’ai pas parlé de la « sublimation » du désir ou de la colère, mais chacun sait ce à quoi cela fait référence. Je pense que, bien plus difficile que de « dépasser » – c’est à dire en quelque sorte fuir, nier – est d’intégrer désir ou colère et les accepter comme faisant partie de soi, les digérer, s’en nourrir, même frustré(e)s, même non accompli(e)s ou non exprimé(e)sx, tout est matière à observer, grandir, mûrir…)

Snas vouloir faire mon business du bonheur (en fait, je ne veux faire mon business de rien), je trouve qu’on a là une belle trilogie (pensées / paroles / actes) dont les diverses formules et combinaisons nous éclairent, sans coup férir, sur la conduite à adopter. Si je voulais en faire mon business j’appellerais cela la Trilogie du Bonheur et je créerais une page facebook, des séminaires en ligne et des stages exorbitants dans des contrées lointaines, pour aller chercher quoi ? … ce minuscule œuf d’or qui se trouve au fond de nous.

Et voilà, elle est pas belle, ma recette du bonheur ? !!! A très bientôt mes chers.