Virevolte

Virevolte

Révolte qui sourd

grondement des vieux loups dans la forêt profonde

familière et féconde

qui nous ensemence et nous nourrit

Humus des années passées à comprendre, à grandir

Craquement sec dans la nuit épaisse

une branche enfin prête à céder sous nos pas

après des années de décomposition

la face de l’ombre

plonge son regard

en nous

fait volte-face

et libère la clarté qui dérange

Virevolte

Au goût amer des feuilles mortes

se mélangent les sucs des insectes qui grignotent

écorces, brindilles, pousses tout justes sorties

et les sables éphémères, en volutes émouvantes

se rappellent à notre conscience ensauvagée

en tempêtes

tourbillonnantes

de spirales enfumées

Lames de fond sur le gouffre de l’âme

qui cinglent tout sur leur passage

Virevolte

Tout revient tournoyer autour de nous

en longs lambeaux effilochés

à moitié digéré, à moitié consommé

tout revient nous obséder

demander son compte

travailler notre naïveté

en saccades obscures

cycles absurdes dont nous peinons à sortir

et tout tourne sans cesse

en vagues déferlantes

qui nous hypnotisent et nous hantent

Virevolte

Tout autour de nous n’est que pensées, émotions élaborées

émanant du monde subtil

Toute forme autour de nous s’estompe

des ombres se redressent et viennent réclamer leur dû

raclant le sol et rechignant à évoluer

avant de retourner en poussière

tout n’est que spirale du vivant

apparu, transformé, disparu

Virevolte

Tout autour de nous vibre et se dilue

comme des lucioles

dans l’air qui sature et étincelle

Tout n’est qu’Amour et confusion

Tout n’est que Paix et illusion

(c) DM

Poésie des cargos

Cargos, monstres marins qui flottez

sur un monde post-diluvien

qui vous ressemble et que vous animez

de votre présence hiératique

Portes ouvertes sur l’horizon,

sur des lointains chargés de fantasmes,

d’impressions fortes et d’odeurs écœurantes

Le cargo me touche,

le cargo roule et tangue et fait tanguer mes rêves

Le cargo évoque d’autre rivages, d’autres visages

posé là avec ses containers

sa tourelle et son ancrage

en attente d’un acconage

Morceaux choisis et résumés de vie

empilés, amassés, imbriqués tel un jeu pour enfant

conteneurs d’ananas, journaux, meubles et ferrailles

pièces de véhicules, machines à laver, papayes

cartes postales d’un autre temps, d’un autre univers

sous d’autres tropiques et d’autres latitudes

Edifices aux couleurs de rouille

vous voguez, impérieux

au sommet des crêtes et dans le creux des houles

indifférents aux hurlements du vent,

à la furie destructrice de l’océan,

sereins sur les mers d’airain

Parfois à l’abri d’une rade,

en l’attente d’une cargaison,

d’un accostage, d’une nouvelle balade,

vous affourchez, imposants et altiers,

et dans la flamme du jour qui s’estompe,

vous faites miroir aux milles facettes

reflétant les facéties du couchant

Véritables empires flottants

dont les coursives le soir s’illuminent

rappelant que vous êtes aussi une ville

où rient, chantent et boivent des humains

vibrante de leurs espoirs et de leurs tragédies

Quelles sont ces vies que vous portez ? 

Et celles que vous desservez ? 

Quels trafics, quels déménagements,

quel besoin pour les humains

depuis le début des temps

d’échanger et de commercer ? 

Vous êtes posés là, hauts comme des immeubles

énormes et immuables,

et pourtant dérisoires comme tout puissant

qui ignore encore sa déchéance certaine…

Vous évoquez des ports aux structures métalliques

où s’échangent des femmes et des coups de couteaux

des cités des pays aux consonances exotiques,

déserts, détroits, glaciers ou lagunes

des lignes de côte aux contours poétiques

sublimés par notre inconscient voyageur

Dignes d’une aquarelle, d’un trait de pinceau sombre

vous faites appel à nos mémoires communes,

vies antérieures ou gènes ancestraux

portés comme des plaies à l’intérieur de nous

qui n’attendent qu’un clin d’œil pour se libérer

Et une porte s’ouvre, un vent se lève et fait rêver

La poussière s’envole en tourbillons légers

Nous sommes dans un ailleurs de notre psyché

un espace où rien n’ose plus nous entraver

Intouchables, infaillibles,

nous touchons à ces terres lointaines

où tout peut encore être recommencé.

(c) D. Marie

Illustrations : (c) peintures de C. Marie « Vladivostok » et « Helsinki »

Prière pour la Fin des Temps

Vivant, décédé ou encore à naître

Que ton Coeur soit pur et lumineux

qu’il éclaire ta route au-devant

et irradie autour de toi

Qu’il soit phare pour les Autres

et pour toi, guide et réconfort,

afin que ton chemin soit joyeux

Que chaque Jour soit comme le Dernier,

beau et bon et bienfaisant

comme un pain chaud sorti du four

Et que ton Cœur se réjouisse

lorsque les étoiles pâlissent

au firmament

Que la Terre soit fertile et nourricière

et notre Mère à tous

Que le Soleil, la Lune et les Etoiles

redeviennent nos parents, nos frères, nos soeurs et nos enfants

Et les éléments, notre levain

Que chaque Cœur vibre d’Amour et se relie au Sans Objet

Cœur de l’Univers, dont il est à la fois Tout et Partie

Que chaque Cœur vibre de Compassion pour tout ce qui est Vivant,

sachant que toute la Création est issue d’un même atome,

du même abîme,

et vibre du même Son originel

Que homme et femme se chérissent et se complètent

et se donnent naissance l’un à l’autre

comme la vigne et le raisin

ou les deux sarments d’une tresse

Que tes yeux donnent du sens à ce qu’ils regardent

Et que tu sois béni mille fois en retour

par le regard des Autres sur toi

Que ta bouche chérisse le silence

Et tes oreilles attentives au bruissement des feuilles

au gargouillis de l’eau

au murmure discret des étoiles

Que tes mains caressent sans chercher à saisir

et offrent au Monde ce de quoi tu es fait

Que ta langue, ta peau goûtent à l’Infini

et aspirent à sa Tendresse

Que ton langage soit prière

Que ton Verbe soit Chant,

et qu’il se fasse chair

Que ton respir soit doux comme celui d’un enfant

Tendre ton inspir

Généreux ton expir

Cycle précieux en harmonie

avec la grande respiration de la Terre

Que tes hanches soient souples et ta démarche sûre

Ondoyante ta facture et ferme ta direction

Que tes pas te guident où tu es en harmonie

où ton cœur et ton corps palpitent sans faire de vagues,

profonds comme un lac d’altitude

seulement ridé à la surface

par quelque facétie du vent

le frémissement de tes sens

et la Noble expression venue du fond

de tes émotions

Que tes bras accueillent le Grand Mystère

et l’embrassent chaleureusement

Qu’ils reçoivent en retour

le frisson du Vivant

Que ton Esprit soit clair et ta pensée limpide

Que tes pensées, tes paroles et tes actions

résonnent comme un acte d’Amour,

alignées sur le Grand Principe

car chacune d’entre elles

influence le Tout

Que ton plexus soit fort face à l’adversité

et ne daigne ni fléchir ni se décourager

Que ta pratique soit ainsi, simple et dédiée

Que chaque être voie le monde

avec l’âme d’un enfant

dépourvu de toute intention de nuire

Que Notre Cœur vibre à l’unisson

avec le reste de la Création

Que tes yeux enfin scintillent

de toutes les Beautés du monde

qu’ils reflètent l’effervescence de ton Cœur

ils seront un signe de ta Joie d’être en Vie

Reçois la vie à pleines mains

et les bénédictions seront légions.

(c) DM

Filigrane

Silence. Bruissements du jour.

Craquements. Pépiements. Caquètements. Silence.

Lointains mugissements, bourdonnements. Silence.

Vrombissements assourdissants.

Et le Sacré se révèle.

Belle-au-bois-dormant sous la tonnelle,

dont le baiser ardent irradie d’argent autour de lui.

Un tout petit chat ronfle, roulé en boule dans un pot de plante.

Léger ronflement, à peine perceptible – comme un nourrisson.

Il suffit d’un petit ronflement et le grand Cœur du monde s’éveille et frémit.

Le cœur de la planète, de l’Homme, de la Création.

Lentement une fleur sourit, pétales qui s’ouvrent et répandent leurs effluves,

aériennes comme la soie.

Et s’épanouit, à nouveau, l’arôme du Bonheur.

Conspiration au bonheur.

Les bourdons, les abeilles me rasent de près –

adaptent leur trajectoire aux obstacles parsemés dans le jardin,

tels des moteurs de Formule 1.

Le pic épeiche s’en donne à cœur joie.

Repos – ô trêve ! La Terre soupire d’aise.

A tire d’ailes passent les moineaux, passereaux.

Bergeronnettes et fauvettes.

Mésange huppée, pinson, rougequeue, geai.

Et même deux hirondelles printanières qui, pourchassées par les chats, cherchent refuge en ma maison.  

Lointains échos de musique assourdis.

Gais pépiements dans l’air altier.

Enfin la délivrance, enfin le ralliement.

Saveurs du soir et air du Temps.

Froissement d’air, frémissement d’aile.

Conversation de l’eau, gargouillements.

Passer le temps sous les sureaux.

Parfums d’enfance et de silence.

Epaisseur de l’instant, texture soyeuse sous le doigt.

Goût du bonheur.  

Manque. Sentir le manque.

Se rassurer, avec patience, avec douceur.

Ce n’est pas la fin, ô non ! C’est juste UNE fin.

Une dont on avait besoin.

Long hululement du vent. Appel lointain, impatient.

Lamentement. Soudain murmure insignifiant.

Le Sacré s’en est allé de la Terre des Humains.

Mais dans le matériel il n’y a rien de poétique.

Qui se souvient de l’odeur des premières fleurs de pommier ?

Sous la couche des choses, l’entendement.

Filigrane, graines sous-jacentes.

Des mots, des gestes, des non-dits.

Métamorphoses intimes.

(c) DM