The Pulse of the Earth

It is a large valley bordered by sandstone cliffs

shadowed by olive trees

a river runs through it

blocks of rock of potent origin

scissored in lacy designs

by lightning, water, sun, frost and wind

forced into shapes never seen

orange, terra-cotta, cinnamon

and the green, the evergreen of life

the scent of soil and acrid bushes

pungent leaves of thickets

wind sand and scorching rocks

lizards and duikers

ancestral land of the Bushmen

where live the leopard, baboon, antilopes

extreme land

either withered with heat or flooded

where grow the olive, almond, citrus and mango

stars exploding in diamonds

ancestors stories abound

a planet bright as a lighthouse

silence, wind, stars, rock,

sun, moon, water, birds,

river, cascade, hand paintings

rocks carved by the elements

heart of the earth pulsing

beauty beyond all thinking

majestuous features

parchment land, sizzling sandstone

hieratic cliffs

enigma demanding an answer

millions of years engraved in these rugged shapes

proteas, ericas, dassies and butterflies

discreet animal life, programmed to survive

bushes turned into gnarled shapes

colours as vivid as the sky

big skies as blue as the ocean itself

wild ether, unaffected

by the turbulence of humans below

sunsets baking in accomplishment

mountain, steady wall of ochre, red, chocolate

iron filaments in the stone

the elusive presence of the shy cape cobra

weaver birds, guinea fowls,

and the million invisible life

ever struggling for perpetuation

Life, ever evolving, ever transforming itself

mineral reign, animal, vegetal, and human, cohabiting

exchange of the hearts, bleeding with love

echoes of ancient memories

genes pairing and assembling

my genes responding to the call

Inner, irresistible call of blood

cellular coherence, proximity

Life in its kingdoms, ever renewed,

cells responding to each other

Desert call

Silence of the subtle matter

in the wind’s soft murmur

Vibration

Harmony

Life passed on a million years

astral light, merciless heat

rooted soul of the elements

the joy of leaves fluttering in the wind

making the sound of rain drops

windows shut to the scorching afternoon heat

the soft carpet of grass

giving in under the feet

foot imprints shaping the sand

paths of human and animal kind

rock paintings telling stories

of ancient shamanic trance

calling unto the elephant spirit

to come and heal the world

Very old tales told and seen

traces of ancient remedies

memories of past things

lived and gone

I want to stand up and scream : Happiness !!

(Cederberg, South Africa, march 2022)

(c) DM

8/8 Impressions gionesques

Voyages féeriques et énigmatiques au pays de la langue de Giono

Ce qui est particulièrement attrayant et jouissif chez Giono c’est le vocabulaire amoureux de la nature. Quand il parle du vent, de la forêt, du plateau ou des bêtes, ou même du grain de blé, ou des narcisses, ou du civet de lapin ou du bon vin tiré frais et pétillant, on dirait qu’il parle d’une femme qu’il a aimée.

C’est, en outre, en lisant certaines pages de Giono que je me rends compte à quel point nous avons perdu la diversité des espèces. Les oiseaux, par exemple, dans Giono se comptent par centaines, avec des noms que nous avons oubliés. Qui se souvient de la draine (grive draine), de la calandre (alouette calandre), des rousseroles, des cochères ? Qui a connu le mouchet traînebuisson (un passereau)?

Dans Que ma joie demeure, Jourdan et Bobi donnent du grain aux oiseaux. Marthe regarde les oiseaux s’égayer dans les graines, jouer, s’ébrouer, et sa rêverie nous emmène au loin, à travers les prairies, à travers les saisons et les rythmes du temps.

            « Elle voyait des loriots. Elle pensait au vent d’ouest. Parce que les loriots viennent toujours mêlés aux bourrasques.  Elle voyait des rousseroles. Elle pensait à la rivière Ouvèze couchée au fond de sa vallée fauve et dans les joncs dansent les nids de rousseroles.

            Elle voyait des calandres avec les taches de rouille. Elle pensait aux fins d’été, à la touffeur des éteules, aux gémissements de la terre, aux bruits de chars, à l’envie de boire, aux landes beurrées de soleil.

            Elle voyait des roitelets, verts, gris, ailes noirs et crête d’or et, au lieu de coninuer à voir les roitelets elle voyait et elle respirait les bruyères, les herbes de la montagne, elle entendait la descente des troupeaux et la voix des pâtres.

            Elle voyait des geais et des rolliers, des perdrix, des cailles – car maintenant tous les oiseaux du plateau s’étaient appelés – des mouchets traînebuisson, des mésanges grises, des cochères à tête bleue, des chardonnerets et une sorte d’oiseau qu’elle connaissait bien et dont le nom était l’oiseau-silencieux. Il ne chantait jamais, même au temps de l’amour.

            Chaque fois que toute la bande s’épanouissait autour du tas de graines, une fleur de plume s’épanouissait aussi dans Marthe mais elle avait des ailes de vent, de plaines et de montagnes, des yeux de soleil, le ventre bleu du soir dans la campagne et le bruissement de tous les insectes des prés. »

Plus loin, c’est l’été, la chaleur est partout et Giono, sensible au mouvement de la vie dans chaque bocage, au fond de chaque étang, nous le décrit, ou l’imagine.

            « Le monde avait de plus en plus besoin de vie. Les petits oiseaux quittaient les nids où il faisait trop chaud. Ils se posaient sur les branches pour la première fois de leur vie. Ils essayaient de dormir, mais, dès qu’ils fermaient les yeux, ils perdaient l’équilibre, ils tombaient en battant éperdumment des ailes, et un peu de fraîcheur caressait leur poitrine sous le duvet. Alors, ils apprenaient tout d’un coup combien voler était splendide pour le corps et pour la joie, et ils s’en allaient d’un arbre à l’autre, et même dans de grands espaces sans arbres ; la sensation délicieuse de fraîcheur de l’air remué par les ailes leur donnait de l’audace, ils s’élançaient tout droit vers les profondeurs du ciel jusqu’au moment où, ivres de peur et du vertige de voir chavirer sous eux la terre chargée de champs verts, ils s’écroulaient comme une pluie de pierres en poussant des cris.

            Les abeilles et les mouches à ventre rouge, jaune et bleu étaient en adoration autour des mélèzes dont les troncs et les branches étaient tout suintants de la grande sève de l’année. (…)

            De plus en plus, les routes des bêtes s’entrecroisaient dans le jour et dans la nuit, à travers la lande et la forêt. Le feuillage des buissons ne s’arrêtait plus de trembler sans vent, traversé par le renard, la belette, la fouine, le rat, ou les ailes pelucheuses de la chouette. Les chauve-souris étaient sorties de cavernes. (…)

            Toutes les variétés de sauterelles étaient sorties. Toutes les variétés de fourmis étaient vivantes. Toutes les variétés de papillons vivaient, toutes les mouches, tous les scarabées. (…) »

Dans Le Chant du monde, le fleuve, fougueux par nature, est un véritable personnage. Antonio, Bouche d’or, l’homme du fleuve dont les épaules sont devenues « dans l’habitude de l’eau, comme des épaules de poisson », s’y plonge et le traverse par tous les temps; temps de pluie, temps de crue. « C’était toujours un gros moment pour Antonio. Il avait regardé tout le jour ce fleuve qui rebroussait ses écailles dans le soleil, ces chevaux blancs qui galopaient dans le gué avec de larges plaques d’écume aux sabots, le dos de l’eau verte, là-haut au sortir des gorges avec cette colère d’avoir été serrée dans le couloir des roches, puis l’eau voit la forêt large et étendue là devant elle et elle abaisse son dos souple et elle entre dans les arbres. Maintenant, c’était là autour de lui. Ça le tenait par un bon bout de lui. Ça serrait depuis les pieds jusqu’aux genoux. »

« Tous les matins Antonio se mettait nu. D’ordinaire; sa journée commençait par une lente traversée du gros bras noir du fleuve. Il se laissait porter par les courants; il tâtait les nœuds de tous les remous; il touchait avec le sensible de ses cuisses les longs muscles du fleuve et, tout en nageant, il sentait, avec son ventre, si l’eau portait, serrée à bloc, ou si elle avait tendance à pétiller. De tout ça, il savait s’il devait prendre le filet à grosses mailles, la petite maille, la nacette, la navette, la gaule à fléau, ou s’il devait aller pêcher à la main dans les ragues du gué. Il savait si les brochets sortaient des rives, si les truites remontaient; si les caprilles descendaient du haut fleuve et, parfois, il se laissait enfoncer, il ramait doucement des jambes dans la profondeur pour essayer de toucher cet énorme poisson noir et rouge impossible à prendre et qui, tous les soirs, venait souffler sur le calme des eaux un long jet d’écume et une plainte d’enfant. »

« Ce matin, il y avait un peu de gel dans l’herbe. L’automne s’était un peu plus appuyé sur les arbres. Des braises luisaient dans les feuillages des érables. Une petite flamme tordue échelait dans le fuseau des peupliers. L’étain neuf de la rosée pesait à la pointe des herbes. »

Antonio le costaud qui ne craint rien va donner un coup de main à Matelot. Tous deux partent à la recherche du besson, le fils de Matelot, qui a disparu depuis plus de deux mois, après avoir descendu le fleuve avec un radeau de troncs d’arbre. Ils émergent de la forêt de nuit : « l’odeur des mousses se leva de son nid et élargit ses belles ailes d’anis. Une pie craqua en dormant comme une pomme de pin qu’on écrase. Une chouette de coton passa en silence, elle se posa dans le pin; elle alluma ses yeux. »

Le roman se poursuit en véritable thriller, haletant entre le fleuve et les collines, parmi les villages, les guérisseurs et les légendes familiales, sous le son des trompes et des appels des gardiens de taureau. Nos deux personnages quittent le confort de leur vallée, s’aventurent en territoire ennemi, rencontrent moult personnages hirsutes ou moyenâgeux et se glissent de nuit pour percer le mystère en trompant les sens aiguisés des bouviers de la mafia locale de Maudru.

Dans Colline, les hommes blessent ou tuent sans sursaut de conscience, et la nature se venge. Un jour, la source tarit. Puis, la petite Marie est malade. Le vieux Janet, qui agonise chez sa belle-fille, a-t-il jeté un sort sur le village ? Un chat noir a été vu, les superstitions vont bon train. Puis un beau jour, le feu dévastateur se déclare dans les collines. « C’est un bel après-midi. Le galet de lune roule sur le sable du ciel. Cependant, du côté de Pierrevert, une insolite brume rousse monte. » Inexorable, le feu approche, menace le village. Les villageois se retrouvent, les dissensions s’effacent, pour lutter contre l’incendie et sauver les maisons, les cultures.

« De la cime, l’étendue des bois brûlés se révèle, immense : un tapis noir, tout scintillant de braises et qui s’élargit jusqu’aux abords d’un village qu’on n’avait jamais vu, de là, quand les arbres étaient hauts, et qui luit, maintenant, comme un os décharné.

Ça, c’est un côté de ce qu’on voit.

De l’autre côté, c’est encore douillet, tout fourré d’herbes et d’olivaies; une combe comme l’empreinte d’un sein dans l’herbe; au milieu, les Bastides et, près des maisons, une petit tache blanche qui bouge: peut-être Babette, Ulalie, Madelon, Marguerite ? Ou, plus simplement, la plus jeune fille d’Arbaud qui joue sur la placette.

Le feu monte. »

Le feu est vaincu, le vieux Janet est mort, la source rejaillit. Le village va revivre, panse ses plaies. Gagou le simplet est tombé victime des flammes… l’amant discret d’Ulalie; au moins elle, le pleurera. Quant à Arbaud : « il lui prend soudain le doux désir de s’abandonner dans le vent du destin comme dans une bourrasque qui colle aux reins et emporte. Un peu de repos ! Du repos, et des seuils chaud pour boire le soleil et fumer la pipe ! »

Regain. Un village déserté, par les vieux comme par les jeunes. Seule, une vieille femme, d’origine piémontaise, ayant perdu mari et fils: la Mamèche, un peu folle, un peu sorcière. Et Panturle, bon gaillard très seul, un peu rustre mais encore dans la fleur de l’âge, qui chasse la grive et le lapin. Et la source. « A la Font-de-la-Reine-Porque, le bassin de la fontaine est déjà gelé. C’est une fontaine perdue et malheureuse. Elle n’est pas protégée. On l’a laissée comme ça, en pleins champs découverts; elle est faite d’un tuyau de canne, d’un corps de peuplier creux. Elle est là toute seule. L’été, le soleil qui boit comme un âne, sèche son bassin en trois coups de museau; le vent se lave les pieds sous le canon et gaspille toute l’eau dans la poussière. L’hiver, elle gèle jusqu’au cœur. Elle n’ a pas de chance; comme toute cette terre. »

Cet hiver-là est particulièrement rude : « jamais on n’a vu cette épaisseur de glace au ruisseau ; et jamais on n’a senti ce froid, si fort, qu’il est allé geler le vent au fond du ciel. Le pays grelotte dans le silence. La lande qui s’en va par le dessus du village est tout étamée de gel. Il n’y a pas un nuage au ciel. Chaque matin, un soleil roux monte en silence; en trois pas indifférents; il traverse la largeur du ciel et c’est fini. La nuit entasse ses étoiles comme du grain.

Panturle a pris sa vraie figure d’hiver. Le poil de ses joues s’est allongé; s’est emmêlé comme l’habit des moutons. »

La Mamèche se met en tête d’aller chercher femme pour Panturle – pour repeupler le village. Elle attend le dégel et un beau jour… elle disparaît sans dire un mot, après avoir pris soin d’emballer quelques pommes de terre cuites dans un baluchon avec une poignée de gros sel, pour trois, quatre jours de voyage. Panturle est pantois, il se retrouve seul. « Quand même il se retourne vers le sud, lui aussi. Ça a changé depuis la tombée du jour: une force souple et parfumée court dans la nuit. On dirait une jeune bête bien reposée. C’est tiède comme la vie sous le poil des bêtes, ça sent amer. Il renifle. Un peu comme l’aubépine. Ça vient du sud par bonds et on entend toute la terre qui en parle.

Le vent du printemps ! »

Pour terminer cet hommage à la magie de la langue gionesque, quelques notes tirées d’un petit recueil de contes, Le noyau d’abricot. Giono affectionnait les Mille et une nuits et les ambiances à la Shéhérazade qui l’ont beaucoup inspiré ainsi que les classiques grecs et latins. Ayant lu Simbad le marin dans une feuille de chou littéraire pendant la guerre, il s’essaye aux contes et aux poèmes qu’il publie dans les journaux alors qu’il est employé de banque à Manosque. Ces petits contes sont des trésors de sensations, couleurs, odeurs, sensualité… Le buisson d’hysope imagine l’épopée d’un collier de noyaux d’olives, par delà les mers, depuis les terres outre-méditerranéennes, jusqu’à la Provence. Quelques extraits savoureux : « ses longs cheveux pareils à la pluie nocturne cachaient sa sombre figure. Nue jusqu’à la ceinture, elle avait pour seul ornement un long collier de noyaux d’olives. » La belle Elme, fille d’un seigneur dans un donjon sur la « route qui monte de la mer aux Alpes », rêve de ce collier. Alors, « trois jeunes soldats résolurent de partir pour les lointaines contrées et de rapporter à la demoiselle le collier dont elle était férue. Ils résolurent cela parce qu’ils l’aimaient – Elme la douce, le repos des yeux chargés de massacre. C’étaient Magnau aux muscles ronds; Gaubert au cœur éteint et Espitalier dont les pieds étaient plus agiles que ceux du vent. » Des trois, deux connurent des obstacles mortels, le troisième, de retour enfin par un soir d’été – « Vénus esplendissait dans la vapeur verte qui flotte au bord de la nuit » – tombe d’épuisement en remettant le collier à la belle. Celle-ci, dépitée d’avoir causé tant de morts… jette les noyaux d’olive par la fenêtre du donjon, sur la terre de Provence, dans laquelle ils prirent racine.

Voici quelques humeurs, jolis sonnets, chants de la vie, hymnes au monde, quelques lignes ivres de liberté tirées de mes lectures de Giono. Comme un fil d’or je les ai attrapées, puis tirées doucement, avec précaution, avec douceur, avec tendresse. Sans rien défaire du récit, juste pour le plaisir, comme on inspecte l’intérieur de la galette pour deviner si un rebondi plus marqué, une couleur qui se démarque de la frangipane, le choc mat du couteau sur une matière plus dure, trahissent la présence de la fève. Avec ces impressions j’espère vous avoir donné envie de lire ou de relire Giono !

(c) DM

7/8 De Rosans à Lilignod… par la vallée de L’Eygues

« J’aime Rosans, Rosans m’aime-t-il ? » Souvenir de jeunesse de G., un graffiti mural qui lui avait valu un bref séjour à la Gendarmerie locale. Au matin nous redescendons donc de nos hauteurs vers le village, hanter ces lieux de sa jeunesse. Nous contournons Rosans à pied, en quête de souvenirs, prenons un café à La Boule d’Or en face d’une splendide vue sur la vallée, faisons des plans pour trouver un petit coin de terrain… visite de l’église inopinément ouverte par des paroissiens au bénitier plein de grenouilles, remplissage des bouteilles à la fontaine (nous trouverons une autre fontaine sur un parking au bord de la route de Nyons, dans les gorges de l’Eygues), halte à Sahune où nous achetons des olives et découvrons un excellent petit vin local, le Domaine du Rieu Frais à Sainte-Jalle, au pied des routes des cols, où nous sommes passés deux fois lors de nos boucles tournicotantes… A Sahune aussi, nous croisons sur le parking une bande de jeunes vivant en truck, van et camion aménagé.. et faisant du yoga sur le béton du parking, devant les toilettes publiques. Petit marché local aux portes de Nyons où nous acquérons quelque litres d’huile d’olive et quelques jolis oignons doux.

A Nyons nous optons pour un picnic sur les rives caillouteuses de l’Eygues. Notre pizzaïolo favori étant fermé, nous avisons une autre pizzeria sur la place centrale pour G., et des ravioles à la ricotta pour D. à la sandwicherie. C’est samedi, les rues du centre sont animées, les terrasses aussi, la rivière coule pour nous sous le pont romain qui nous protège de son arceau harmonieux et ses galets ronds nous chatouillent les orteils… Je traverse la rivière, peu profonde, à pieds, avant d’improviser une sieste un peu pointue sur les cailloux.

C’est ensuite le temps du retour, nous prendrons encore des voies de traverses, essuierons un orage dantesque, nous émerveillerons devant plusieurs arcs-en-ciel, une halte à Dieulefit… nos pensées nous laissent traîner encore dans les méandres de ce périple aux tons d’olive, aux senteurs d’herbe sèche et de pierre calcaire, aux sons d’eau vive et de cigale, au goût d’anis et de lavande, au palper de poudre et de sirop.

Le temps de quelques jours nous aurons vécu à un autre rythme, le rythme d’une absolue liberté, de dormir où l’on veut, de manger dans les collines, de nous laisser porter par l’impulsion du moment, prenant des routes qui nous inspirent, sans chercher à rallier tel ou tel itinéraire… Des découvertes très personnelles, des moments magiques, des moments de lecture et de discussions sur le monde, sur la ruralité, sur le bio, sur les traditions… Un mode de vie comme on n’en fait plus, qui semble tellement lointain et inatteignable, et pourtant, si simple à revendiquer…

Les lignes de Giono nous auront touchés au cœur, portés au loin, elles auront résonné sur les murets, dans les ruelles, au bord des rivières, bercées par le roulis des pierres de montagne, et dans le secret du soir, à la lueur d’une lampe frontale… Ses textes nous auront guidés à imaginer la vie de ces paysans pas si lointains que cela, et qui auraient pu être nos ancêtres, nos grands-parents ou arrière-grands parents…

Qu’a-t-on fait de ce monde-là ? Peu de gens sont encore conscients des richesses qui se cachent dans les campagnes et dans un retour à un mode de vie authentique. Certains, gardiens de la tradition, savent bien ne pas les vanter, ces richesses : éviter la peste du tourisme et de ses itinéraires fléchés sans fantaisie, le piège de ses produits phares, de ceci à voir ou à faire ab-so-lu-ment… Vivre et partager, comme antan, ce que l’on peut avec qui l’on veut… Il y a vraiment de quoi remettre en question les modes de vie qu’on a voulu nous vendre, et qui mènent à notre perte, dont nous sommes aujourd’hui les esclaves. On nous tourne en bourrique avec des injonctions diverses, payer comme-ci, consommer comme-ça, acheter telle voiture, tel saucisson, suivre des modes, faire comme le voisin… La publicité nous assomme, nous a fait perdre le goût du beau, le bon sens. La société algorithmée nous guette au tournant, où tout sera prédit, tout sera automatique et plus rien spontané on intuitif – car même notre intuition est polluée : vous avez tel âge, vous vivez dans telle région ? Alors, vous devez aimer telle musique, tel fromage, et acheter tel type de chaussures… Au secours ! Sortons de la matrice !!

Échapper à la fatalité, aux automatismes, déjouer les cookies, les programmateurs, les robotisateurs de l’espèce humaine, les correcteurs et les standardisateurs de la vie, ceux qui veulent nous dicter comment vivre et comment penser. Célébrer la perfection de l’imparfait, de l’imprévisible, de l’imparable, de l’impossible, de l’impersonnel et de l’impertinent… Retrouver le goût du local, du beau, du bon, du simple… de l’interdit ! Le goût du contact avec l’eau, avec les oiseaux, avec la roche, avec les humains, l’éblouissement d’un coucher de soleil (pas forcément sur Instagram…), la splendide sensation de faim qui nous chatouille le fond de l’estomac… Voilà ce que nous enseignent Giono et ses écrits, ses personnages hauts en couleur, ses perles de la nature égrenées comme de rien au fil des pages, des moments de la vie, des roues qui tournent; des graines de beauté suspendues en vol, entre le lancer et la germination… 

(c) DM

6/8 La sobriété heureuse… de Barret-sur-Méouge à Rosans, l’Ouvèze

Au matin, sur la montagne de la Chabre, la brume se dissipe lentement… Les contours des collines émergent peu à peu des nuages filocheux, telle une vision primordiale, et se laissent dessiner par la main d’un artiste en veine de création. Les formes d’abord floues se précisent, en plusieurs traits hésitants on commence à percevoir l’ombre pesante d’une bête endormie, avant que la ligne d’horizon n’apparaisse, triomphante, dans une lumière de début de monde.

Les habitants du vieux cimetière, discrets et silencieux, nous ont laissés dormir tranquilles.

Le moment est de grâce, l’heure ne compte plus, il doit être près de dix heures quand nous redescendons, Delphine et Maître DuBob en footing sur les pentes pierreuses de la route ravinée, que G. négocie au volant de la Berlingomobile avec hardiesse et prouesse !

Notre route de Giono non-officielle, pleine de détours et de zig-zags, et d’inspirations subites, se poursuit dans des vallées sèches, rocailleuses, où alternent lavandes et lavandins. Le plateau que nous sillonnons se situe entre 600 et 700 mètres d’altitude, les falaises de calcaire qui le dominent – épaisses comme des sandwichs au pain de mie, tranchées de tapenade brune et de laitue verdoyante – doivent culminer à 900 ou mille mètres.

Petite halte très bienvenue à Séderon, son boulanger artisanal (passé au crible par l’esprit critique de G.) son lavoir et ses fontaines d’eau potable. Lavoir agrémenté d’une table de picnic (café-croissants), doté d’un débordement à l’abri des regards et d’un savon de Marseille qui seront salutaires pour notre état d’hygiène corporelle, après une quatrième nuit dans la brousse.

Des draps sèchent au grand air du matin sur des fils derrière le lavoir, on ne sait à qui ils appartiennent – ont-ils été lavés à l’ancienne, au lavoir ?

A Séderon dit-on, on voit des chapeaux ronds; des motards, des campings-cars et des gros camions. La départementale passe au milieu de ce minuscule village, donnant lieu à des scènes dignes de notre attention narquoise : un camion de trente tonnes croisant un camping-car dans une ruelle étroite, entre des murs de maisons hautes et tout noircis de carbone, sous le regard goguenard du pépé du coin. Tout le monde se parle, tout le monde se dit bonjour, on se sent un instant partie de la vie locale…

Le village se referme à peine midi sonnés.

Nous le traversons à pied et réalisons qu’il est le point de départ de pas mal de grandes randonnées à travers la Drôme provençale : les itinétaire proposés vont de 4 heures à deux jours ….

Nous y faisons aussi lecture à haute voix sur un muret au bord de la Méouge, devant la boutique du coiffeur local (dont le carnet de bal est plein dès 13h, dommage, j’aurais bien fait une petite mise en plis …). Cueillette de quelques grandes tiges de menthe sur un terrain vague au bout d’un parking, qui s’avère être la propriété d’une dame très sympathique qui n’en prend pas ombrage ; diverses rencontres et salutations aimables, et élaboration de deux bouteilles d’eau aromatisée qui nous vaudront un beau concours de saveurs et une harassante chasse au bouchon – que nous retrouverons grâce à la désinvolture bourrine du chien !

Concours d’eaux aromatisées

Bouteille 1 (G.) : miel thym citron grain de raison pomme sureau

Bouteille 2 (D.) : menthe gingembre miel citron absinthe

Le tout dans une eau de source tirée à la fontaine : un vrai bonheur !

Poursuite vers Buis-les-Baronnies le long des berges de l’Ouvèze – rivière gionienne par excellence. Picnic tardif et sieste au bord de l’Ouvèze à Sainte-Euphémie. C’est joli joli (et c’est un euphémisme), il y a un square, une descente vers l’Ouvèze et quelques villas secondaires. La seule personne qui me parlera mal de tout ce voyage sortira d’une de ces villas – elle a une voiture immatriculée 92 et un air faussement relax de parisienne en villégiature.

Dégustation de la bouteille D. (marque déposée « Santé-Zen ») et de la bouteille G. (marque déposée « Santé-Million ») – les deux valent la palme, mais celle de G. se conservera plus longtemps !

Enorme antenne 5G à cent mètres à peine du village – mais non, tout va bien bonnes gens, rien d’anormal, dormez sur vos trois oreilles !!!

Remplissage des gourdes à nouveau à la fontaine.

Passage des cols d’Ey et de Soubeyrand qui nous valent des petites routes tournicotantes, un coucher de soleil jaune et vaporeux qui joue avec les brumes dispersées sur les collines, quelques cyclistes tardifs et un petit tour dans de magnifiques champs de lavande / lavandin à plus de mille mètres d’altitude.

Arrivée au soir tombé à Rémuzat, en quête de quelque larcin alimentaire. Rien à grailler, seulement une brasserie au chef pas très avenant qui de surcroît ne propose pas de plats à emporter. Nyons ou Rosans ? Notre cœur balance mais l’âme de G. veut revenir hanter les lieux de sa jeunesse. On opte donc pour Rosans où nous arrivons à 20h30. Nous sommes un peu mieux accueillis et arrivons même – moyennant un petit malentendu – à nous taper un dîner en terrasse ! « Au Fourchat », on y mange une blanquette de la mer, chaude et gouleyante, qui ma foi réjouit les papilles, aussi loin soit-on de la mer à cet instant précis. Puis on se met en quête d’un coin pour dormir, or près du Plan d’Eau c’est trop moustiqueux et ça sent la vase, alors nous visons les hauteurs et empruntons la route qui part vers le col de Pommerol / La Fromagère. Là, nous trouvons un terre-plein dans un virage au-dessus d’un troupeau de brebis – le patou nous a bien repérés et ce nigaud hurle à la mort et ne se calmera que lorsque nous aurons fermé boutique. Notre chien, lui, ne demande pas son reste et rêve de lapins aux senteurs de thym qui bondissent dans la garrigue.

Excellente nuit, la chaise pliante trouvée à Sainte-Euphémie nous permet de se laver les dents assis : le luxe absolu !

(c) DM

5/8 Tristes collines… de Manosque à Sisteron, la Méouge

La presqu’impasse qui la veille au soir semblait si calme, se révèle au matin lieu d’allées et venues fréquentes; sans doute la Maison de la Nature située au bout, et les travaux EDF dans un chemin de terre le long du ruisseau emploient-ils de nombreuses personnes – quelques-unes, curieuses de notre campement improvisé…

En reprenant la route du col pour redescendre vers Dauphin, nous remarquerons de jour d’autres détails comme des piquets jaunes dans la colline et de discrets panneaux jaunes apposés aux poteaux électriques ou aux coins des rues, et qui comportent un langage codé : des chiffres, des lettres étranges… En fait, la colline de Manosque est truffée de cavités salines dans lesquelles sont stockés des milliards de mètres cubes de gaz méthane. Gaz de France par l’intermédiaire d’un abscons Groupement d’Intérêt Economique gère ce projet qui justifie ces panneaux laconiques de mise en garde et ce jeu de piste hiéroglyphique à chaque coin de route… Les riverains, pourtant assis sur une poudrière, ne semblent pas s’en affoler, puisque personne ne nous avait mis en garde. Nous en déduisons que la nuit, peuvent se passer des mini explosions, ou bien qu’ils fassent des manipulations ou des transferts d’une cavité à une autre, engendrant les grondements sourds que nous avons perçus…

En effet, à mi-chemin dans la descente vers Dauphin, nous tombons sur une énorme usine à gaz – véritable cicatrice dans la forêt, avec des entremêlements de tuyaux verts, de vannes rouges et de signaux de chantiers jaunes – où s’activent quelques petits hommes (pas verts mais en uniforme bleu et au casque jaune), et par la femêtre je leur crie la mauvaise blague que cela sent le gaz.

Le tout serait presque esthétique si cela ne laissait un triste goût de mutilation. Partout dans le monde, la course à l’énergie a laissé des cicatrices purulentes sur les flancs de la terre, que ce soient les exploitations pétrolières dans les plus beaux paysages d’Alaska, l’éventrement de la forêt amazonienne ou la présence invisible mais menaçante des déchets nucléaires dans des containers au fin fond de la mer de Somalie et ailleurs; et aujourd’hui les grands serveurs numériques installés dans les déserts de l’Arizona, en Chine ou dans les steppes glacées d’Europe du Nord, qui surchauffent en permanence (occasionnant en passant une consommation électriques échevelée) pour nous fournir un accès toujours plus immédiat à internet, des échanges de données toujours plus rapides, des téléchargements et des stockages de milliards de messages, de photos et de films dont nous n’avons que faire…. Sans parler des satellites et de la pléthore de déchets qu’ils engendrent, pollution que nous avons exportée au-delà de notre univers terrestre, là-haut dans les cieux. Tout ce non-sens destructeur, pour un mode de vie basé sur l’énergie et la consommation inconsidérée, inconsciente. Qu’ont-ils fait de la planète ? Que faisons-nous de la planète, lorsque nous consommons sans réfléchir, de l’électricité, du gaz, de l’eau, du papier, de la viande, des emballages plastique, des données sur les réseaux sociaux, rendus inconscients de l’impact de nos gestes par la vilaine propagande nous enjoignant à consommer, donc à payer … ?

Dégoûtés et quelque peu introspectifs, nous piquons plein nord sur Sisteron, le long de la Durance. Adieu le Lubéron !

Arrêt café à Maillane, dans les Bouches-du-Rhône, sa mairie fortifiée, son hommage à Frédéric Mistral, son auto-école M.D.R. : Maîtrise De la Route… et un long chemin dans un bois un peu mal entretenu.

Nous retrouvons un peu de composition dans un parc de l’hôtel de ville de Sisteron où nous pique-niquons en discutant le coup avec un employé de mairie chargé de l’entretien des espaces verts mais qui semble aimer le contact puisqu’il passe quelques minutes avec nous et paraît familier avec d’autres visiteurs, sans doute des réguliers. Il nous vante les mérites de sa tondeuse électrique, silencieuse et sans odeur – nous disant avoir souffert de respirer des années durant les émanations d’une tondeuse à essence. Nous ne pouvons qu’opiner du chef, tout contents qu’il ne gâche pas notre halte, ni en odeur, ni en bruit de moteur. Nous l’observons du coin de l’œil tondre un talus en pente et nous demandons s’il va ramasser un masque qui traîne sur la pelouse – nouvelle et innombrable source de pollution… L’aurait-il fait de toutes façons ? A-t-il senti notre regard ? « La conscience est décuplée par le regard des autres » assénai-je comme une vérité de l’instant. « La feuille de platane est une feuille emblématique de l’automne, quand elle tombe » réplique mon compagnon de voyage.

L’employé nous parle du maire, nous disant que c’est un personnage (digne de Giono?) qu’on ne peut pas rater si on le croise, et nous décrit ses caractéristiques physiques. En effet, alors que nous nous relevons pour aller explorer la vieille ville, celui-ci apparaît, paternaliste et bedonnant, sur le trottoir devant les bureaux de la communauté de communes pour fumer un clopot, jetant un regard panoramique et distrait alentour, comme pour jauger l’humeur de ses administrés.

Dans les ruelles de Sisteron nous acquérons une nouvelle ceinture, un flan (la vendeuse de glaces est un peu trop stricte sur le pass sanitaire), et longeons la base du fort avant de redescendre par un parc en pente sous les pins, où nous ferons une petite halte sur une table de picnic et des bancs de bois, dont les pieds sont (plus ou moins bien) étudiés pour contrecarrer la forte pente du terrain (d’où l’expression de parc-à-pic).

Le périple se poursuit par la vallée de la Méouge, un défilé sauvage et aride qui nous mène, à sa sortie, à un petit village, Barret-sur-Méouge, où un panneau Ecoloc nous fait nourrir le doux espoir d’une épicerie; en fait une épicerie communautaire « éco-fermée » aux horaires minimum, style deux heures par jour, les mardis et vendredis … apparemment nous ne sommes pas dans un jour de chance, mais en tous cas, ses horaires fantaisistes et son personnel « néo-babos » auront le mérite de nous avoir fait rire.

Au-dessus du village, la chapelle du 12è siècle en ruine nous fait un clin d’œil. Nous entamons une petite route caillouteuse et creusée par les grosses pluies, dont nous n’imaginions pas les ornières et qui fait un peu riper les pneus au bord du vide. Bivouac sur un éperon derrière le cimetière – dont les résidents nous acceptent sans râler.

« Le poète doit être un professeur d’espérance » – Jean Giono

(c) DM

4/8 Mystères et tremblements… des Mourres (Forcalquier) à Manosque

Mystères et tremblements… des Mourres (Forcalquier) à Manosque

Nuit de pleine lune, orbe gigantesque dans un ciel pur illuminant d’une ambiance étrange les silhouettes de calcaire aux contours vivants. Présences fantômatiques qui semblent se mouvoir et se pencher pour frôler le promeneur ou lui susurrer des révélations  mystiques à l’oreille… Cette beauté féerique aux traînées blafardes égaye pour une fois les nuits sans sommeil de Dame Delphine… Rappel à célébrer le mystère, la beauté, l’étrangeté de l’univers qui nous entoure, rappel à notre minusculité devant les grands rouages de la mécanique du ciel, appel à la beauté du secret, à plonger dans le mystère des origines de la Vie, appel à vénérer sans comprendre, à chérir sans saisir, à révérer sans posséder ni déconstruire, ni dominer, ni dépasser… Bob le Jaeger, toujours partant et frétillant sur ses quatre pattes, sera de la partie, tout étonné de cette balade nocturne impromptue; et, au petit matin, poussé par la solitude, l’aviateur K. les rejoint.

Du coup, éclipsé par la toute-magnificence de la pleine lune, le lever de soleil passera inaperçu, tout ce petit monde récupérant une petite heure de sommeil lourd, volant un peu de réconfort au Temps qui passe inexorablement.

Balade un peu à l’aventure, sur description d’un couple croisé au départ du chemin, nous nous lançons dans les collines au parfum de thym vers le Clos de Mély, puis sur les crêtes, puis dans la combe qui redescend trop bas… les marques jaunes au début nous sauvent, puis nous égarent, il fallait sans doute prendre un chemin de traverse pour compléter la boucle. Du coup, les deux heures prévues se changent en trois heures et demies; heureusement que nous avions un peu d’eau avec nous car le soleil commence à taper… Rencontre du troisième type avec un électro-cycliste aussi paumé que nous, qui avec ses équipements sportifs, son sourire béat et sa langue bien pendue semble tombé d’une autre planète, et confirme mes intuitions pour un retour à la case départ à travers la garrigue.

Remontée vers un petit barrage, le long d’une coulée d’eau dont les goulottes calcaires forment des mini-piscines qui invitent au barbotage. Le chien s’y jette tel un condamné sur sa dernière pitance, suivi de Dame D. qui bénit autant que lui l’occasion de se rafraîchir… Fin de balade en mode déshabillé histoire de sécher à l’air pur et au soleil, nous traçons notre chemin à la sauvage à travers les buissons, en suivant parfois les sentiers des bêtes et le pifomètre, le tout nous ramenant finalement (habillés) au site des Mourres où est garé notre sweet home mobile.

Pic-nic au plan d’eau des Buissonnades à Oraison, une base de loisirs de l’autre côté de la Durance, qui s’avère pas si touristique de ça, en tous cas pas à cette saison ni à cette heure. La baignade est à nouveau bienvenue dans l’eau fraîche et limoneuse, suivie d’une douche et même d’un lavage de cheveux au savon de Marseille pour les plus braves. Champs de courges gigantesques à la sortie du plan d’eau !

Départ pour Manosque, petit tour dans la  vieille ville où nous prenons (encore) à la sauvette un apéro sur une terrasse, bière et pastis. La serveuse du café est aux aguets, la « Nationale » rôde, car s’ouvre ce soir un festival littéraire sur l’une des placettes haut perchées de la ville, pas loin du centre Jean Giono sans doute (que nous ne visiterons pas). Et dans un magasin de vélo, on trouve même une rustine à vingt heures pour réparer l’un des matelas de camping percé !

Renseignements pris, nous montons au Col de la mort d’Imbert au-dessus de Manosque pour y admirer le ciel rougeoyant au coucher du soleil et trouver un spot pour crécher. Ambiance compacte et mystérieuse, forêt de pins et chênes, ombres foisonnantes, route sinueuse et déjà impressionnante de bruissements crépusculaires. Plus loin, le bord de route est clôturé, des panneaux nous intriguent : « quittez la zone si vous entendez des grondements comme un moteur d’avion », mais de quoi s’agit-il ? En arrivant sur une grande épaule au-dessus du col – d’où la vue est effectivement sublime, vers l’est, l’ouest, le sud et le nord – nous sommes seuls, circonspects, à l’affût de tout signe suspect. Nous observons plus bas, dans les replis des vallées et aux pieds des falaises, les lumières qui  s’allument et clignotent une par une, révélant des villages, des routes et des villes, mais l’ambiance de film de science-fiction continue de flotter dans l’air saturé de vermillons et de violets. On s’attendrait presque à voir surgir une soucoupe volante et à la diriger pour qu’elle atterrisse sur ce maigre bras de montagne… Le suspense fait battre nos cœurs et tourbillonner nos pensées, malgré la beauté incandescente du ciel qui s’éteint.

Il ne s’agit que de quelques secondes avant que notre questionnement ne devienne plus inquiet… Nous avisons un spot sous un maigre pin battu par le vent du nord; il fait alors nuit noire. Tandis que le moteur s’éteint et que tout bruit, lentement, se pose, à part celui des bourrasques qui malmènent les bosquets, par trois fois retentissent des grondements qui semblent surgir du fond de la Terre et font vrombir les collines, comme si un monstre caché, dragon apocalyptique, faisait trembler les entrailles du monde. Silence… Puis la séquence se répète, cinq ou six fois, d’une seconde à peine chaque fois. Pris de court, et en l’absence d’une explication rassurante, nous décidons de redescendre en vitesse, un peu angoissés par cette ambiance orwellienne de fin du monde. Nous élisons domicile pour la nuit dans un goulet plus ou moins en impasse au-dessus des dernières habitations de Manosque… Bivouac égayé par le braiement des ânes et quelque berger tardif qui passe avec trois chiens tenus par une ficelle mais prêts à en découdre.

Nous aurons le fin mot de l’histoire de lendemain. 

3/8 Errance bienheureuse… de la Lure à Forcalquier

Matin-Yoga dans la clairière, petite balade hygiénique avec le chien. Redescente vers St-Etienne-les-Orgues où nous attend, sous un glorieux soleil matinal filtré par les platanes, la terrasse au Bar du Ski-Club – Siège des boulistes. Le petit déjeuner se prolonge en flânerie heureuse, agrémenté de fruits secs, galettes bretonnes et de noix et de quelques conversations avec les locaux. C’est assez étrange de se dire qu’on est illégal, assis ici à siroter un café crème à une terrasse on ne peut plus banale. Enfin, dans une illégalité me semble-t-il très relative… sans doute illégale elle-même, bref, dans une illégalité illégale ! Le serpent se mordrait-il la queue ? Puis, le plein d’essence, halte à la fontaine pour y tremper et frotter la vaisselle de la veille (notre gamelle de camping) et achat d’une paëlla à emporter que nous dégusterons un peu plus loin dans les collines, en empruntant une petite route noueuse et chaude comme un pied de vigne, qui doit rejoindre Forcalquier. Sur ces hauteurs escarpées, la vue est dégagée mais la tentative de sieste sur un terrain en pente, parsemé de cailloux et de branches de genévriers – les traîtres dans leur piquanterie – se révèlera assez infructueuse, d’autant que pour une toute petite route comme celle-ci (à certains endroits on ne peut pas se croiser), il y a quand même un trafic étonnant… Cueillette de thym dont quelques pieds que nous rapporterons pour planter dans le jardin. Dans un tournant, un campement très sommaire et hétéroclite, à base de caravane, cordages, tissus, etc. Certains semblent vivre ici avec très peu de choses… et surtout, pas d’eau.

Visite de Forcalquier : la citadelle qui fait mal aux pieds ! Et qui pique les mollets (allusion aux moustiques dont je subis à nouveau les assauts).

Bonne grimpette sur un chemin pavé, raide comme la vertu. Les pavés de guingois appellent à l’art de la précision et à la sûreté du pas et, à l’ombre des cèdres du Liban, quelques bancs de pierre offrent au pèlerin l’occasion d’une halte miséricordieuse.

Tout en haut de la citadelle, très belle vue à 360 degrés sur le Ventoux, la Lure, les Alpes, le Mercantour, le Lubéron… La petite chapelle Notre-Dame de Provence y retrace l’histoire des Saints de Provence et d’Orient. De style néo-byzantin, elle a été construite entre 1868 et 1875 sur l’emplacement de l’ancien château des comtes de Forcalquier (détruit par Henri IV) et domine la colline, surplombée d’une statue dorée de la Vierge qui resplendit comme un soleil. La chapelle, de structure octogonale, est agrémentée de huit anges musiciens sur chacun de ses angles extérieurs. Sur la même esplanade, un carillon, construit en 1925 qui s’anime les dimanches et aux fêtes.

Sur le tympan extérieur de la chapelle (espace en demi-cercle au-dessus de la porte d’entrée), sont représentés en sculpture, debout autour du Christ glorieux, les saints d’Orient, arrivés de la Terre sainte en Provence (dont Marie-Madeleine, Marthe, Lazare, Maximin, Marie-Jacobé, Marie-Salomé, Sarah, Sidoine, Trophime…) et assis, les saints de Provence, dont Delphine et Elzéar de Sabran. A l’intérieur, une petite histoire des Quatre Reines de Forcalquier, les filles du comte de Forcalquier qui épousèrent chacune un roi : l’aînée, Marguerite, épousa Saint-Louis en 1234 à douze ans, avant de le suivre six années en croisade; la seconde, Eléonore, devint en 1235 la femme du roi Henri III d’Angleterre; la troisième Sancie, épousa en 1242 Richard, comte de Cornouailles, futur roi des Romains et empereur d’Allemagne; et enfin la dernière, Béatrix, épousa en 1246 le frère de Saint-Louis, Charles Ier d’Anjou, qui deviendra roi de Naples et des deux Siciles.

(Le comté de Forcalquier, séparé de la Provence en 1110 par le jeu d’une division, s’étendait des sources de la Durance aux portes de Cavaillon et ses villes principales étaient Embrun, Gap, Sisteron, Manosque, Pertuis, Apt et Sault. Il fut de nouveau rattaché à la Provence par l’union de Gersende de Sabran et Alphonse II de Provence, les parents des quatre heureuses filles, avant d’être rattaché à la France lors du siège de Forcalquier par Louis XI en 1481.)

De cette colline coule une source, Font Calquier, ou Fontaine calcaire… qui a donné son nom à la ville.

Redescendre en ville c’est comme redescendre dans l’air du temps, dans l’ère de la modernité, dans les klaxons et les petits deals… Au bar le Lucky où nous prenons l’apéro, j’ai une pensée pour mes chats (Lucky & Luke) et tandis que l’on se renseigne sur un coin sympa pour dormir, on nous met sur la piste des Mourres, site géologique exceptionnel de formations calcaires, juste au-dessus de Forcalquier, où nous pique-niquons le soir avant de nous installer pour la nuit. 

2/8 A toute allure…. de Rustrel à la Lure

Venus du Lubéron, nous avons quitté les rustres de Rustrel, vu le château et le temple de Lourmarin, où coule le bon vin du château Fontvert, et traversé Apt un samedi à une heure de fin de marché aux senteurs d’épluchures et de biscuits orientaux. Nous filons droit vers le Nord, avec sur notre droite les coulures ensanglantées du canyon dit du Colorado, et plus loin, les Mées : étonnantes falaises parcheminées où vivent des fées cachées, qui dansent et virevoltent en poussières de couleurs vives – ocres, orangés, terre brûlée, terre de sienne, rouge sanglant, brun chocolat coulant…

Impatients, nous arrivons à Banon. Patrie de Giono nous voilà ! Village médiéval, avec son église d’En Haut et ses bancs positionnés face à la vallée, qui invitent à la lecture. A haute voix nous nous adonnons à ce qui est devenu, ces derniers temps, notre petit rituel Giono. A la librairie Le Bleuet, évidemment on y trouve du Giono, mais aussi plein d’autres livres, témoins d’un festival littéraire qui va s’ouvrir à Manosque. Poches, bandes dessinées, belles éditions, tout y est et s’offre aux gourmets que nous sommes – avec l’envie de tout goûter. Eh quoi, le livre serait un « discret pollueur », comme tentent de nous le faire accroire certaines radios de service public ?! Franchement, il doit y avoir erreur. Et quid de la pollution numérique ? Les serveurs internet, les stockages de données : plus gros consommateur d’électricité au monde. Alors… ne vous en prenez pas à nos livres ! En tous cas, dans cette librairie, on y flâne et y trouve aussi une carte IGN de la région qui nous permettra de sortir des sentiers battus – et tout cela, sans regarder nos écrans. Quel repos pour les yeux que de lire un livre, une carte, en laissant ses yeux et son esprit vagabonder au gré des pages et des reliefs !

A noter que le bleuet – le vrai bleuet – est une fleur quasiment en voie de disparition. Le vrai bleuet arbore une couleur Bleu de France, et n’a rien à voir avec les centaurées au bleu un peu délavé qui le remplacent souvent dans nos campagnes. Bel hommage, beau symbole que cette librairie aux fleurs de nos campagnes disparues…

Dans une épicerie fine, dégustation de miel (lavande fine, lavande, miel toutes fleurs…) et autres délicieusetés comme le petit fromage de chèvre de Banon, enroulé dans des feuilles de châtaignier et qui en prend le parfum, coulant et mordoré comme l’automne.

Après Banon nous partons vers St Etienne-les-Orgues où nous faisons le plein d’eau, puis entamons, impatients, la montée de la Lure. Montagne gionesque par excellence, la Lure domine les plaines et les falaises avoisinantes de son plateau venteux et râpé – comme son frère jumeau le Ventoux, que l’on aperçoit à quelques encablures de là – et impose sa présence à tout l’univers gionesque.

A la sortie de St Etienne-les-Orgues, le long de la route qui attaque la montagne, des bancs de bois à la peinture bleue élimée appellent à la flânerie, tous les cent mètres ou presque, comme un métronome, une mélopée insistante. Un peu au-dessus, la forêt nous enveloppe de sa magie et les tâches du soleil déclinant à travers le feuillage s’impriment sur les chemins de traverse comme une peau de léopard. Irrésistible appel à la sieste, improvisée et bienheureuse…

Juste avant le sommet de la Lure, nous descendons à pied le long d’une crête venteuse au-dessus d’un troupeau de brebis bêlantes, dont le patou nous a bien repérés. Là, les genévriers nains regorgent de baies, les buissons de thym abritent la vipère Orsini, que nous n’aurons pas l’honneur de croiser. Petite balade à pied d’une heure…

Le vent souffle du Nord, nous rajoutons des couches avant d’atteindre le sommet pelé et usé de Lure. Neuf antennes de télécommunications nous toisent, drapées dans leur suffisance. Leur présence obscène et maléfique spolie de toute grâce, de toute majesté chantante, la montagne elle-même, le paysage qu’elle protège, et les villages avoisinants sur lesquels elles font peser leur ombre électromagnétique. Quelle défiguration !

Au cours de nos explorations des cîmes et des vallées, nous n’aurons en fait plus que le droit de pleurer intérieurement en constatant le viol fait aux paysages, aux lignes bleues des Vosges, aux charmes pittoresque des villages… par ces antennes ou par les champs d’éoliennes – les deux étant censés bien sûr, rendre nos vies plus efficaces. Chassé par la modernité, le mystère se retire, dépité, des crêtes qui relient la terre et le ciel, du profond des vallées et des replis de terrain, et se love, en attendant de se redéployer, au cœur de la mémoire ancestrale des hommes, mémoire d’un temps où le silence grouillant de la terre l’emportait sur les sifflements stridents de l’électrification…

Un peu pris de court par l’essence nous décidons de redescendre sur le versant d’où nous sommes venus, afin de faire le plein le lendemain. Nous bivouaquons sur un chemin de traverse, à l’abri d’un petit creux sous les arbres, dont les branches bienfaisantes se penchent sur notre berceau, comme les bras arrondis d’une madone… à quelques kilomètres de l’abbaye Notre-Dame de Lure, celle-ci s’étant avérée située dans un bosquet sombre et humide, avec un parking en pente. Nuit froide à 1600 mètres! Les sacs de couchage, pas bien zippés, ne font pas leur meilleur office…

(c) DM