Filigrane

Silence. Bruissements du jour.

Craquements. Pépiements. Caquètements. Silence.

Lointains mugissements, bourdonnements. Silence.

Vrombissements assourdissants.

Et le Sacré se révèle.

Belle-au-bois-dormant sous la tonnelle,

dont le baiser ardent irradie d’argent autour de lui.

Un tout petit chat ronfle, roulé en boule dans un pot de plante.

Léger ronflement, à peine perceptible – comme un nourrisson.

Il suffit d’un petit ronflement et le grand Cœur du monde s’éveille et frémit.

Le cœur de la planète, de l’Homme, de la Création.

Lentement une fleur sourit, pétales qui s’ouvrent et répandent leurs effluves,

aériennes comme la soie.

Et s’épanouit, à nouveau, l’arôme du Bonheur.

Conspiration au bonheur.

Les bourdons, les abeilles me rasent de près –

adaptent leur trajectoire aux obstacles parsemés dans le jardin,

tels des moteurs de Formule 1.

Le pic épeiche s’en donne à cœur joie.

Repos – ô trêve ! La Terre soupire d’aise.

A tire d’ailes passent les moineaux, passereaux.

Bergeronnettes et fauvettes.

Mésange huppée, pinson, rougequeue, geai.

Et même deux hirondelles printanières qui, pourchassées par les chats, cherchent refuge en ma maison.  

Lointains échos de musique assourdis.

Gais pépiements dans l’air altier.

Enfin la délivrance, enfin le ralliement.

Saveurs du soir et air du Temps.

Froissement d’air, frémissement d’aile.

Conversation de l’eau, gargouillements.

Passer le temps sous les sureaux.

Parfums d’enfance et de silence.

Epaisseur de l’instant, texture soyeuse sous le doigt.

Goût du bonheur.  

Manque. Sentir le manque.

Se rassurer, avec patience, avec douceur.

Ce n’est pas la fin, ô non ! C’est juste UNE fin.

Une dont on avait besoin.

Long hululement du vent. Appel lointain, impatient.

Lamentement. Soudain murmure insignifiant.

Le Sacré s’en est allé de la Terre des Humains.

Mais dans le matériel il n’y a rien de poétique.

Qui se souvient de l’odeur des premières fleurs de pommier ?

Sous la couche des choses, l’entendement.

Filigrane, graines sous-jacentes.

Des mots, des gestes, des non-dits.

Métamorphoses intimes.

(c) DM

1,2,3 Soleil !

Un – extase du vent

Deux – grand cercle arctique

Trois – apnée cosmique

Soleil ! Tu rugis comme la lionne

 Et la Terre s’assoupit un instant

            lovée contre le crépuscule

            et rêva de jour

Les yeux mi-clos sur ce monde nouveau

            qui bientôt allait s’éveiller

Et chacun s’enferma pour mieux comprendre sa vie

            espaces clos

            où enfin le Sacré

            put se déployer

Les monts, les forêts, les animaux se reconnurent

            présence engagée

            et de concert murmurent

Océan ! Tu ondules comme le serpent

Et l’humain plongea en soi

            embrassa le calme

            et s’en réjouit           

Chacun se souvint

            des beautés de sa vie

            trésor englouti

Et dans le cœur de l’Homme

            se ralluma la flamme

            minuscule mais ferme

Terre ! Tu vrombis comme la libellule

Chacun revint à l’essentiel

            et s’en trouva heureux

Douceur du présent

            chaque instant précieux

            invisible, saisissable

Et les moments heureux de défiler un à un

            trame d’une vie

            millions d’existences enlacées

Air ! Soyeux comme le fil d’araignée

Tu nous relies, tu nous inspires

Et tout recommença

            la Terre s’ébroua

            ouvrit un œil

            prit une inspiration – et ce fut un éclair !

            puis expira – et ce fut un baiser

Lune ! Comme tu danses avec les Etoiles

Là-haut dans l’Ether

            s’ouvre le règne du Grand Devin

(c) DM

Kyrie

La Vie en son chant tisse notre avenir

Un chant grave et serein

Ruban de soie et de fil qui défile

Et se délie, intime, au large de nos doutes

Celui qui l’écoute saura être guidé

Lui qui ne l’entend pas aura maints fracas

maintes tempêtes, maints naufrages

Les jours n’ont plus la candeur d’antan

Mais comme ils seront lisses encore ! Et doux comme

Un couchant apaisé sur la mer

Et toi, toi qui ne sais plus où tu vas

Toi qui pleures avec les étoiles dans lesquelles tu cherches un compas

Toi qui ris dans ton cœur quand ton cœur chante tout bas

Quand tu as vécu tout cela

Quand, lasse et furtive, la nuit te glisse entre les doigts

Quand tu n’as plus de honte ni de peur

Toi dont l’amour est si grand

Qu’il transpire à chacun de tes pas

Entends-tu souffler le nordet ?

Bruisser le corps des sirènes ?

Car la vie tapie en toi comme une murène

Prête à bondir à la marée nouvelle

Ancrée au fond de toi, saura te renouveler

Viendra te délivrer

Te pousser vers la mer

Te faire sentir à nouveau sur tes paupières

Le vent ivre de liberté

Car il est dit que dire n’est qu’un premier pas

Et le mot qui te dit n’est pas encore écrit

(c) DM

Clair obscur

Noces délicates de la fleur et du vent

De l’ardeur et du sang

La bonheur comme un gant

Clameur nocturne insensée

Je ne sais rien je ne veux rien

Je ne sais rien

Je ne sais rien

Que le souffle des vagues, la tendresse du vent

Je ne veux rien

Que le brin de soleil qui joue dans mes cheveux

Je ne sais rien

Que le parfum de sable qui se donne à moitié

Et la note du temps

Et le regard amoureux que la nature pose sur moi

Je ne sais rien mais je sais

Que la fin d’une étoile est le début d’une autre

(c) DM

Avant que j’oublie

Avant que j’oublie

les mots les colères

Avant que j’oublie

de dire et de taire

Avant que ne grandisse le silence

Au fond du silence

des notes dansent

elles ne comprennent pas

mais elles savent

Avant de saisir

la main du destin

de m’en faire un ami

Il sourit au loin

fort de ses incertitudes

Loin des tumultes loin des envies

loin des extases et des agonies

quelque part au fond tranquille

coule la source

toujours vivante

et sidérante de beauté

Quelque part passant si tu vois

sacrifiés ceux qui chantent aux étoiles

découvre-toi

Avant que ne se délie

cette existence terrestre

bafouée, galvaudée

mais aussi aimée dans toute sa gloire

Autant pour ceux qui la renient

elle n’est ni simple ni jolie

Que de ceux qui en font trop

elle s’enfuit

Avant que ne se referme une fenêtre

avant que ne se glisse l’indifférence

soyeuse dans tous ses replis

Avant que j’oublie

la clé des profondeurs

Laissez-moi encore chanter !

Petite rubrique de nuit

La nuit souffle fort ce que les hommes pensent tout bas

La nuit désespère de voir jamais le jour

La nuit se répand en mille bruissements,

mille symphonies, milles voix inconnues

La nuit sème le doute et récolte les promesses

La nuit se dit qu’un jour

elle étreindra sa propre incandescence

faisant boire les femmes, les hommes,

au liquide nacré de sa sainte opulence

Elle se consumera, 

traînard attardé qui s’éloigne en dansant,

tirant avec lui les fils du dernier mirage

Elle fermera les yeux ; elle oubliera les cieux

elle oubliera les temps où elle était aux dieux

ce que les dieux sont aux humains


Elle se fera belle comme le jour,

ourlée de luminosité ardente

embrassant la lune et tous ses trésors

Elle ira par les jardins,

pénètrera les failles des murs écorchés,

soupirera dans les creux aux soleils inondés

Par des voies alambiquées, elle se glissera  

partout où veut germer la graine

Elle ouvrira des cœurs

et fermera des comptes

Elle verra dans les yeux de ceux qui la vénèrent

un reflet mordoré

qu’elle n’ira point mendier

Elle se rendra,

elle baissera les armes

et ses bras deviendront

fleuves de sel

et bouquets


La nuit se fera belle et deviendra Jour.

(c) DM

L’Oreille du monde

Cape Town

Ce soir la lune est pleine et le vent hurle

La ville tremble comme une gaufrette et se rend à ses coups de boutoirs

Le vent se raconte des histoires à travers les ruelles noires

A la faveur de l’obscurité il siffle des comptines indiscrètes

Dans les impasses éteintes sur la pente de la montagne,

se faufile telle une patte de velours

Oiseau de nuit, reflet du Jour

Furieux, il soulève des pirouettes de poussière

et bat sa coulpe sur les cœurs refroidis

s’engouffre en marmonnant d’anciens reproches jamais dits

Il est de ces liturgies archaïques dont le vent ce soir nous rebat les oreilles

Anecdotes ancestrales

Non-dits

Secrets d’alcôve

Trahisons

Renoncements

Répétitions

Enlacements

Histoires dites et redites

Et pourtant jamais comprises

Des claquements des sifflements des grincements

La maison grogne comme une vieille coque

Ayant connu tous les départs glorieux

et les retours émaciés de ceux

qui ont connu et aimé la mer

Grimace burinée

L’amour vrai naît dans la Nature

Même dans ces caresses sauvages

Le vent se donne en amant fougueux

Abandons désordonnés

Et tandis que je ressens ses plus petits baisers

mon cœur palpite de façon inavouée

Le vent se faufile et l’Amour est là

Prendre même ce qui ne s’offre pas

La trêve se prolonge…

Et soudain se dessine

une nouvelle attaque

Le vent moqueur persifle et signe,

reprend son œuvre d’usure,

ses assauts incessants

sur la ville qui répond en gémissant

La Ville est parcourue de longs frissons savonneux

comme une bête qui courbe l’échine

C’est dans l’amour de Tout qu’est la solution

Aimer ses trahisons

Aimer ses blessures et ses déceptions

Aimer aimer toujours

Je t’aime ô ma douleur

Je t’aime et te chéris et te ramasse à la petite cuillère

Le vent qui soulève les rideaux

ce soir n’en dit pas moins

Sagesse et compassion,

se mettre à l’écoute du monde

(c) DM

Tout doux

Tout doux, inspire

retrouve la palpitation de ta chair

renoue avec tes désirs

Tout creux, le cri

que l’on n’entend pas

mais qui remplit l’espace

Tout seul, le martèlement

de ton âme qui n’en a pas fini

avec la vie

Tout près, accueille

dans tes narines frémissantes

l’odeur de la joie retrouvée

Tout à l’heure

tu ouvriras la porte

qui mène tes pas vers l’infini