Étreins

Étreins le pas qui hypnotise

La gelée blanche qui réjouit

Étreins le glas libérateur

Qui ne s’embarrasse pas de tes cris

 

Étreins sans chercher le sommeil

La lune ridée qui te défie

Étreins la vague qui se flétrit,

Le stylo qui peine à mentir

 

Étreins sans chercher à saisir

Délicate précision

Les sourires sans lendemain

Les peines et les joies à venir

 

Étreins pour ne rien dire

Pour ne pas perdre la raison

 

Étreins sans mots la joie sauvage

Qui parcourt ton corps frissonnant

Dans l’aube frêle, un rivage

Se dessine, assourdissant

 

Dans un entêtement féroce

Étreins encore le chant des cœurs

Quand au fond des yeux des proches

Se meut, sans voix, la trahison

 

Étreins, mais lâche le morceau

Ainsi veut la Fée Carabosse

Qui dégaina ses vœux fantoches

Dans un cocktail ruisselant

 

De rires, de fantômes et de cloches

Palpables comme au premier temps

Dans l’univers tourbillonnant

Étreins pour ne pas haïr

 

Étreins le front aux reflets suaves

Qui te conjure et te salit

 

Étreins, mais ne regrette rien

Il n’est pas dit que les étoiles

Ne brillent que pour ceux qui les voient.

 

(janvier 2017)

Chaque porte est mystère

Chaque porte est mystère. Pas dans l’ailleurs qui s’offre et se dérobe à la fois. Jeu de piste, miroir de notre curiosité. Indice semé sur notre chemin, pour nous étonner, nous intriguer, nous charmer, nous ravir.

porte

Chaque serrure est promesse. Celle, tenace, d’un monde inouï, qui ne demande qu’à éclore. Celle aussi, intime, du secret préservé. Celle des cœurs pacifiés et des cœurs déchirés. Celle, toujours renouvelée, d’un matin printanier.

Les portes du monde ouvrent notre cœur car elles nous éclairent de l’intérieur. Elles sont le trésor que nous voulons découvrir, ruelle après ruelle, avenue après avenue.

Le judas dévoile notre présence, interroge, et laisse deviner l’intention ; mais il parle aussi de méfiance et de trahison. Le pêne qui joue dans la gâche promet l’abandon, ou poliment décrète la fin du jeu. Les gonds qui grincent délicieusement appellent à la lenteur…

Portes rouges, jaunes, vertes, portes en bois, en ferraille, pauvres portes de marins et portes altières des palais, proprement closes ou mal ficelées, portes nettes et portes défaites, portes choyées ou portes éculées, portes polies par les vents, brisées par les adieux, bercées par les sourires… chaque porte raconte les pas qui l’ont franchie, les mains qui l’ont poussée, les fureurs qui l’ont claquée, les amours qu’elle a protégées…

 

 

Profession de foi

à Juliette !

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Je suis l’Indomptable

La rebelle aux ailes brisées

La goëlette aux voiles irisées

 

Je suis l’Irréfutable

La Preuve par 6,

La vahiné

Qui de ses jolis pieds va charmer les sirènes

Et chatouiller les Tritons affamés

 

Je suis l’Infatigable

La grande Diseuse de Vérités-qui-fâchent

La redresseuse de torts

La Justice enfin rétablie

Je suis la Révolte

Au front des étudiants

 

Je suis la toute fine

La Grande

La Délaissée

La Belle-au-Bois-Dormant qui attend son baiser

En lisière des rêves agonisés

 

Je suis l’Acharnée

Qui ne recule que pour mieux sauter

Celle qui, point par point ira tisser sa toile

Pour tout englober

 

Je suis la Diane verte au regard sibyllin

A l’ironie fulgurante

Aux flèches fuselées

À la touche d’acier

 

La Vestale de Delphes aux pieds ensanglantés

Qui prédit la débâcle des lâches et des menteurs

La mise au ban des dévoyés

L’avènement certain de l’authenticité

Le retour annoncé de l’antique Splendeur

 

(décembre 2017)

Il était dit

Il était dit que de l’Espoir viendrait la Force, et que de la Force, l’Espoir tirerait ses dernières forces.

Il était dit qu’ils se reconnaîtraient, et que de cette reconnaissance naîtrait un nouvel Être, et que dans les bras l’un de l’autre ils se serreraient, se ressourceraient, se rasséréneraient. Et qu’ils puiseraient ensemble, à nouveau, à la source de Vie.

Il était dit que nul ne s’en apercevrait, à part le chant des oiseaux au petit matin.

Et ainsi vécut le monde jusqu’au jour du Lendemain.

Et ainsi mourut la nuit poursuivant ses chimères.

Et ainsi s’éteignit le feu dévastateur, et les mirages désincarnés perdirent de leur attrait.

Et alors, dans un nouveau monde encore incertain, le cours put attendre son temps, les failles purent s’ouvrir, laissant enfin passer la Lumière.

Il était aussi dit que les lendemains seraient chanteurs …

Neige heureuse

 

Il y a une joie secrète à voir arriver la neige

Une joie d’enfance

Une joie de pas feutrés et de soleils timides

Une joie de Noëls en paix

avant la grande Adolescence et ses réveils brutaux

Une joie de petite fille mêlée d’excitation

A voir poindre son nez la saison bien-aimée

Saison des lueurs, des guirlandes et du calfeutrage

Des boules de neige et des gâteaux aux marrons

 

Il y a dans la tranquillité de l’espace blanc une zone de réconfort

Une garantie de survie

Un apaisement des sens

Comme si la couverture ainsi généreusement déployée

Recouvrait tous mes maux et instaurait la trêve

Promesse de renouveau cachée fort à propos

Sous ce voile scintillant

 

Il y a dans le clin d’œil du rayon de soleil

Sur la campagne médusée de silence

Une illumination, éphémère et poignante

Dans l’étonnant jeu de forces au ciel narquois

Trouées bleutées et nuages filant bas

Un radieux message

 

Et dans le soir mulâtre qui s’annonce déjà

Dans les bourrasques dures et dans les yeux des chats

Il y a néanmoins quelque chose d’affable

 

Dans les paquets de neige qui glissent de mon toit

Le désolant goutte à goutte qui marque la fin du froid

Un accord tacite, une pâle consigne

Qui dit que tout est dans l’Ordre des choses

Et qu’il ne tient qu’à nous d’en connaître les Lois.

En passant…

Parce que la vie est ainsi faite : de petits moments inscrits dans le vent, de petits riens qui se tiennent la main. Des instants au parfum sauvage qui nous emportent avec eux; des instants au charme ténu qui se referment comme une huître; de grands moments radieux où le corps et l’âme exultent; des instants tentateurs comme des angelots joufflus qui nous distraient et nous emmènent faire un détour, parfois un long détour… dont on se réveille avec la curiosité de celui qui a fait un rêve pénétrant, ou encore, avec une gueule de bois coriace.

Tous ces instants s’allient et s’entrecroisent, et souvent s’essoufflent tout seuls, car telle est leur nature: de passage; et nous, pauvres humains, nous les fuyons ou nous leur courons après; trop tard, nous réalisons la grâce qui vient de se passer; ou bien nous goûtons et les regardons dans les yeux, avec, déjà, la pointe amère du regret quand s’effiloche la queue de la comète. Nous tentons d’en comprendre le sens, nous aimerions les attraper, les saisir au passage et les collectionner, les disséquer, les analyser, en faire une thèse, une pièce à conviction, les rendre utiles et bêtes.

Ces chroniques de l’éphémère sont prises sur le vif, en passant. En passant dans une ville, dans un jardin, sur une autoroute, chez quelqu’un. En passant car je sais bien que mon regard, et même mes notes, n’en feront guère de plus que quelques petites traces d’oiseaux sur une neige fraiche. Elles sont une célébration de tous ces petits instants qui n’ont l’air de rien mais forment la trame d’une vie.

Regarder ce mouvement à l’ouvrage, adhérer à ses formes multiples, qu’elles soient utiles ou bienfaisantes, incompréhensibles ou violentes, et se laisser pénétrer, contenir, balloter par ces instants comme une barque sur l’océan, n’est-ce pas là ce qui donne de la saveur, de l’honneur, à la vie ?

Car finalement, comme le titre André Brink dans un de ses romans, nous ne sommes qu’Un instant dans le vent…