Kyrie

La Vie en son chant tisse notre avenir

Un chant grave et serein

Ruban de soie et de fil qui défile

Et se délie, intime, au large de nos doutes

Celui qui l’écoute saura être guidé

Lui qui ne l’entend pas aura maints fracas

maintes tempêtes, maints naufrages

Les jours n’ont plus la candeur d’antan

Mais comme ils seront lisses encore ! Et doux comme

Un couchant apaisé sur la mer

Et toi, toi qui ne sais plus où tu vas

Toi qui pleures avec les étoiles dans lesquelles tu cherches un compas

Toi qui ris dans ton cœur quand ton cœur chante tout bas

Quand tu as vécu tout cela

Quand, lasse et furtive, la nuit te glisse entre les doigts

Quand tu n’as plus de honte ni de peur

Toi dont l’amour est si grand

Qu’il transpire à chacun de tes pas

Entends-tu souffler le nordet ?

Bruisser le corps des sirènes ?

Car la vie tapie en toi comme une murène

Prête à bondir à la marée nouvelle

Ancrée au fond de toi, saura te renouveler

Viendra te délivrer

Te pousser vers la mer

Te faire sentir à nouveau sur tes paupières

Le vent ivre de liberté

Car il est dit que dire n’est qu’un premier pas

Et le mot qui te dit n’est pas encore écrit

(c) DM

Clair obscur

Noces délicates de la fleur et du vent

De l’ardeur et du sang

La bonheur comme un gant

Clameur nocturne insensée

Je ne sais rien je ne veux rien

Je ne sais rien

Je ne sais rien

Que le souffle des vagues, la tendresse du vent

Je ne veux rien

Que le brin de soleil qui joue dans mes cheveux

Je ne sais rien

Que le parfum de sable qui se donne à moitié

Et la note du temps

Et le regard amoureux que la nature pose sur moi

Je ne sais rien mais je sais

Que la fin d’une étoile est le début d’une autre

(c) DM

Avant que j’oublie

Avant que j’oublie

les mots les colères

Avant que j’oublie

de dire et de taire

Avant que ne grandisse le silence

Au fond du silence

des notes dansent

elles ne comprennent pas

mais elles savent

Avant de saisir

la main du destin

de m’en faire un ami

Il sourit au loin

fort de ses incertitudes

Loin des tumultes loin des envies

loin des extases et des agonies

quelque part au fond tranquille

coule la source

toujours vivante

et sidérante de beauté

Quelque part passant si tu vois

sacrifiés ceux qui chantent aux étoiles

découvre-toi

Avant que ne se délie

cette existence terrestre

bafouée, galvaudée

mais aussi aimée dans toute sa gloire

Autant pour ceux qui la renient

elle n’est ni simple ni jolie

Que de ceux qui en font trop

elle s’enfuit

Avant que ne se referme une fenêtre

avant que ne se glisse l’indifférence

soyeuse dans tous ses replis

Avant que j’oublie

la clé des profondeurs

Laissez-moi encore chanter !

L’Oreille du monde

Cape Town

Ce soir la lune est pleine et le vent hurle

La ville tremble comme une gaufrette et se rend à ses coups de boutoirs

Le vent se raconte des histoires à travers les ruelles noires

A la faveur de l’obscurité il siffle des comptines indiscrètes

Dans les impasses éteintes sur la pente de la montagne,

se faufile telle une patte de velours

Oiseau de nuit, reflet du Jour

Furieux, il soulève des pirouettes de poussière

et bat sa coulpe sur les cœurs refroidis

s’engouffre en marmonnant d’anciens reproches jamais dits

Il est de ces liturgies archaïques dont le vent ce soir nous rebat les oreilles

Anecdotes ancestrales

Non-dits

Secrets d’alcôve

Trahisons

Renoncements

Répétitions

Enlacements

Histoires dites et redites

Et pourtant jamais comprises

Des claquements des sifflements des grincements

La maison grogne comme une vieille coque

Ayant connu tous les départs glorieux

et les retours émaciés de ceux

qui ont connu et aimé la mer

Grimace burinée

L’amour vrai naît dans la Nature

Même dans ces caresses sauvages

Le vent se donne en amant fougueux

Abandons désordonnés

Et tandis que je ressens ses plus petits baisers

mon cœur palpite de façon inavouée

Le vent se faufile et l’Amour est là

Prendre même ce qui ne s’offre pas

La trêve se prolonge…

Et soudain se dessine

une nouvelle attaque

Le vent moqueur persifle et signe,

reprend son œuvre d’usure,

ses assauts incessants

sur la ville qui répond en gémissant

La Ville est parcourue de longs frissons savonneux

comme une bête qui courbe l’échine

C’est dans l’amour de Tout qu’est la solution

Aimer ses trahisons

Aimer ses blessures et ses déceptions

Aimer aimer toujours

Je t’aime ô ma douleur

Je t’aime et te chéris et te ramasse à la petite cuillère

Le vent qui soulève les rideaux

ce soir n’en dit pas moins

Sagesse et compassion,

se mettre à l’écoute du monde

(c) DM

La plage, toujours renouvelée

Soir d’été ; avant l’arrivée des grandes transhumances… les journées n’en finissent plus de mourir, l’air est intact, comme au premier jour. Chaque bruit semble filtré par un coussin d’azur si pur… tout est ralenti, heureux, obéissant à la simple loi de la lumière et de l’ombre. Le doré du soleil se pose sur les reliefs comme une caresse, et entame un entêtant déclin.

La mer est presque absente, discrète, en retrait, ondulant d’à peine une ride au bord de ses lèvres gelées. Au loin, quelques jeunes, un vélo, un ballon. Le regard ne sachant qu’embrasser en premier, se rétracte, laisse tomber l’habituelle avidité, cherche à l’intérieur les clés du mystère.

Le sable devient palette d’un peintre, chaque repli enfouit une histoire, un moment de la journée.

L’escalier pourrait descendre vers ce monde inavoué, mais il peut aussi monter. Il symbolise le passage, de la terre à la mer, de la force vers l’abandon, du matériel vers le non-dit, le libre, l’essentiel.

Sur son flanc, le lichen rougeoyant parle de mémoires de tempêtes.

One Day

 

One day, il fera clair, la tempête aura disparu

Tu t’assoiras au bord de la falaise,

les yeux clignant devant la beauté du monde

à laquelle tu auras enfin accès

 

Le cœur battant,

Tu entendras les étoiles filer en toi

Glisser comme une magie bienheureuse

 

Les accès se tairont, les voix se feront douces

En toi seul l’entendement règnera

 

Il y aura des villes, il y aura des promesses

Il y aura des enfants au regard aiguisé

Des sirènes, des montagnes de bricoles

 

Il y aura aussi la foi et la splendeur

Le regard sidéral de l’univers

Ancré en chacun, imaginé et réel

Indissociable de la fraternité

 

Et les glorieux traits de la vie emmêlée

Au chuchotement des cœurs

Guéris, épanouis.

Noces sur le roc

Bretagne; toujours…

Mon corps se souvient, au contact du rocher. De ces belles journées d’été à sautiller dans l’eau froide, de ces longs ciels bleus striés de mouettes claires, de cet espace qui s’ouvre lorsque le reste n’importe plus. Mon corps n’est pas lourd, mais sous le soleil irradiant ce matin il s’enfonce dans la matière de ce rocher comme du beurre retournerait à son état liquide. Une agréable et légère sensation de brûlure effleure ma peau, sitôt soulagée par la brise du nord-ouest qui assouvit tous mes désirs. Mon corps que personne ne touche depuis des semaines fait un avec le roc, trouve dans son contact rugueux et solide un plaisir indicible. Sans mouvement aucun, l’union s’accomplit au rythme de ma respiration, sous la chanson des vagues lointaines.

Mon corps explore ces sensations familières qui ne sont pas nouvelles mais pourtant semblaient oubliées. Il se repose dans le soutien que forme la croûte terrestre sous les blocs de rochers, jetés et plantés au bout de cette plage depuis des temps immuables. Il se projette au plus profond de la terre, dans son cœur explosif et brûlant où toute vie fut engendrée et où bouillonnent encore moultes formes inconnues. Il flotte pour ainsi dire entre ce matelas terrestre, dur mais rassurant, qui lui transmet sa force, et le ciel qui s’étend comme un voile de mariage au-dessus de lui.

Mon corps prie pour ne plus oublier. Il s’étonne de la distance qu’il a laissée se former entre ces simples messages de la nature et lui. Son écoute avec les ans s’est émoussée, il est devenu sourd aux subtiles mélopées que murmurent le vent, le sable, la mer, le roc. Même les mouettes dans leur danse erratique semblent lui reprocher sa folie. Et pourtant il sait que ces messages sont ancrés en lui, et qu’il lui suffirait d’un peu de pratique, d’un peu d’écoute pour faire renaître ce sourd désir qui affleure maintenant en tension amoureuse. Mon corps honnit ces expériences sépatrices de l’enfance qui n’ont laissé que des marques de désaffection, des idées de rupture, des isolements, des négations, des coupures d’avec le monde et son immense cœur qui palpite.

Contrastes

Mercredi, veille de l’Ascension

 

17h – 438 kilomètres de bouchons

Le Rhône avale des giclées de soleil

Des milliers de parisiens font les Bidochons

Rouge sang la pivoine règne au jardin

 

18h – 499 kilomètres de bouchons

L’air du soir compose, la trêve s’impose

Soupir ; et un regard perdu vers les roses

Avant que la chaleur n’empâte leur éclat

 

19h – L’A6 implose, la campagne se repose

Le téléphone sonne et l’Europe débloque

Les lilas ont cédé la vedette à la glycine

Pâle, celle-ci néanmoins affiche

Une fière giboulée de clochettes sibyllines

 

20h – Gares surchauffées, aéroports survoltés

La maison respire et se gorge des fées

Lâchées par le jour qui tombe au ras des prés

Le chat l’intrus se glisse, discret

La chatte est déjà passée

 

21h – Manchester pleure

Une adolescente a incendié sa sœur

Les grands voyageurs atteignent, en sueur

Quelque havre, pour quelques heures…

Des pétales de rose au couchant

 

22h – La folie du monde se tapit, attendant sa revanche

Les anciens se souviennent

Leur regard transperce le temps

Du fond d’une photo qui livre son secret

L’aloé fléchit dans le vent

 

23h – Le ciel étincelle

La colline noire, inflexible aux accents des bourrasques

Souligne d’un trait immuable

Ce que n’ose dire

Le grand dragon ailé

Qui gît dans la vallée.

 

Minuit – La nuit s’est glissée

Dans les interstices

Des vieux murs étoilés

Tandis que se délient les cœurs et les oreilles

Le corps incertain se rebelle

 

Le ciel s’est paré de grandes traînées laiteuses

Voile de mariée enveloppant la terre

Un miaulement familier devient mystère

 

1h – Veillent encore les cœurs inquiets

La hulotte aux aguets

Ceux pour qui le chant du soir est un songe creux

Ceux qui chuintent des larmes de feu

Le lynx élusif et le renard fêtard

 

Comme un point de beauté,

Vénus au firmament descend…

 

(mai 2017, hommage à Nino Ferrer….et clin d’œil à Reiser !)