Brume automnale

C’était l’époque où la brume hésite à se glisser dans les futaies

L’époque des petits matins ourlés de blanc et des soirées courtes, éphémères et silencieuses

Chaque brin de lumière volé à la pâleur morose du jour

arrache un cri de gratitude au coeur

encore chaud des brises de l’été 

Lorsque le bleu perce, il éblouit l’esprit

Il emporte le blanc avec lui

Et quand la nuit arrive, de ses voiles argentés

elle éteint tout d’un coup, et le ciel,

et l’envie de vivre ou de rire ou de danser

La brume hésite à se lever

Reviennent nous hanter

certaines mémoires oubliées

Il y a quelque chose de gracile dans ces bras de fée dénudés

dans ces silhouettes pétrifiées

rosies par le linceul étincelant

Quelque chose qui nous ramène à notre propre expérience

de l’intempestif, de la cruauté

d’un monde qui sommeille sans se rendre

Une sonorité creuse sort des troncs emmêlés

où le lierre s’agace à grimper

L’écho se fait ivresse

Dans le froissement des coeurs l’attente se fait chair

Une lueur sonde les profondeurs capitonnées

de nos réflexes ancestraux

Une vitalité inconnue surgit, rassurante, 

de la brume effilochée qui rumine

D’un chuchotement humide, 

la rosée grimpe aux arbres et fourmille

Et la mélancolie s’empare des êtres purs, 

les enlace et les étreint

Ceux qui sans concession cherchent à percer le mystère

voient au-delà de leurs propres yeux

s’éclairer les ombres pâles qui oscillent entre-deux

Un renard glapit

et c’est toute la terre qui chante en ut

l’hymne arbitraire de la vie

tandis que les fantômes s’agitent

Étreins

Étreins le pas qui hypnotise

La gelée blanche qui réjouit

Étreins le glas libérateur

Qui ne s’embarrasse pas de tes cris

 

Étreins sans chercher le sommeil

La lune ridée qui te défie

Étreins la vague qui se flétrit,

Le stylo qui peine à mentir

 

Étreins sans chercher à saisir

Délicate précision

Les sourires sans lendemain

Les peines et les joies à venir

 

Étreins pour ne rien dire

Pour ne pas perdre la raison

 

Étreins sans mots la joie sauvage

Qui parcourt ton corps frissonnant

Dans l’aube frêle, un rivage

Se dessine, assourdissant

 

Dans un entêtement féroce

Étreins encore le chant des cœurs

Quand au fond des yeux des proches

Se meut, sans voix, la trahison

 

Étreins, mais lâche le morceau

Ainsi veut la Fée Carabosse

Qui dégaina ses vœux fantoches

Dans un cocktail ruisselant

 

De rires, de fantômes et de cloches

Palpables comme au premier temps

Dans l’univers tourbillonnant

Étreins pour ne pas haïr

 

Étreins le front aux reflets suaves

Qui te conjure et te salit

 

Étreins, mais ne regrette rien

Il n’est pas dit que les étoiles

Ne brillent que pour ceux qui les voient.

 

(janvier 2017)

Cœur de pierre

1er décembre, de bois et d’ambre,

cœur de pierre a sonné le glas

le mammifère a fermé le judas

de sa tanière

merlinette a sorti ses clochettes

fée du logis a souri

 

plus que tout au monde tu veux te faire aimer

accepté par tes pairs reconnu par tes frères

tu erres dans une mer de froideur

 

cœur de pierre

au fond des océans

tu sombres en secouant

tes bras comme des statues

raidies par le sel

statue de pierre et grand bouddha

sombrant au fond des océans

 

glissements progressifs de l’indifférence

 

(1er décembre 2013)

Sailing

Au large de l’intime j’ai effleuré tes mots

J’ai sondé tes pensées, et reçu ton silence

J’ai navigué sans doutes, rendu miens tes rivages

Accueilli tes fantômes et résorbé tes peurs

Une aurore maternelle m’a enlacée de ses bras doux

Et j’ai senti s’étreindre en nous la terre et la rosée

J’ai frémi en laissant ton souffle me guider

En m’ouvrant à la nuit j’ai osé te répondre

J’ai ouvert les fenêtres jusque là entr’ouvertes

Ecouté chaque veine qui bruissait à mes tempes

Et laissé s’accomplir chaque menu désir…

 

(mai 2013)

Neige heureuse

 

Il y a une joie secrète à voir arriver la neige

Une joie d’enfance

Une joie de pas feutrés et de soleils timides

Une joie de Noëls en paix

avant la grande Adolescence et ses réveils brutaux

Une joie de petite fille mêlée d’excitation

A voir poindre son nez la saison bien-aimée

Saison des lueurs, des guirlandes et du calfeutrage

Des boules de neige et des gâteaux aux marrons

 

Il y a dans la tranquillité de l’espace blanc une zone de réconfort

Une garantie de survie

Un apaisement des sens

Comme si la couverture ainsi généreusement déployée

Recouvrait tous mes maux et instaurait la trêve

Promesse de renouveau cachée fort à propos

Sous ce voile scintillant

 

Il y a dans le clin d’œil du rayon de soleil

Sur la campagne médusée de silence

Une illumination, éphémère et poignante

Dans l’étonnant jeu de forces au ciel narquois

Trouées bleutées et nuages filant bas

Un radieux message

 

Et dans le soir mulâtre qui s’annonce déjà

Dans les bourrasques dures et dans les yeux des chats

Il y a néanmoins quelque chose d’affable

 

Dans les paquets de neige qui glissent de mon toit

Le désolant goutte à goutte qui marque la fin du froid

Un accord tacite, une pâle consigne

Qui dit que tout est dans l’Ordre des choses

Et qu’il ne tient qu’à nous d’en connaître les Lois.