7/8 De Rosans à Lilignod… par la vallée de L’Eygues

« J’aime Rosans, Rosans m’aime-t-il ? » Souvenir de jeunesse de G., un graffiti mural qui lui avait valu un bref séjour à la Gendarmerie locale. Au matin nous redescendons donc de nos hauteurs vers le village, hanter ces lieux de sa jeunesse. Nous contournons Rosans à pied, en quête de souvenirs, prenons un café à La Boule d’Or en face d’une splendide vue sur la vallée, faisons des plans pour trouver un petit coin de terrain… visite de l’église inopinément ouverte par des paroissiens au bénitier plein de grenouilles, remplissage des bouteilles à la fontaine (nous trouverons une autre fontaine sur un parking au bord de la route de Nyons, dans les gorges de l’Eygues), halte à Sahune où nous achetons des olives et découvrons un excellent petit vin local, le Domaine du Rieu Frais à Sainte-Jalle, au pied des routes des cols, où nous sommes passés deux fois lors de nos boucles tournicotantes… A Sahune aussi, nous croisons sur le parking une bande de jeunes vivant en truck, van et camion aménagé.. et faisant du yoga sur le béton du parking, devant les toilettes publiques. Petit marché local aux portes de Nyons où nous acquérons quelque litres d’huile d’olive et quelques jolis oignons doux.

A Nyons nous optons pour un picnic sur les rives caillouteuses de l’Eygues. Notre pizzaïolo favori étant fermé, nous avisons une autre pizzeria sur la place centrale pour G., et des ravioles à la ricotta pour D. à la sandwicherie. C’est samedi, les rues du centre sont animées, les terrasses aussi, la rivière coule pour nous sous le pont romain qui nous protège de son arceau harmonieux et ses galets ronds nous chatouillent les orteils… Je traverse la rivière, peu profonde, à pieds, avant d’improviser une sieste un peu pointue sur les cailloux.

C’est ensuite le temps du retour, nous prendrons encore des voies de traverses, essuierons un orage dantesque, nous émerveillerons devant plusieurs arcs-en-ciel, une halte à Dieulefit… nos pensées nous laissent traîner encore dans les méandres de ce périple aux tons d’olive, aux senteurs d’herbe sèche et de pierre calcaire, aux sons d’eau vive et de cigale, au goût d’anis et de lavande, au palper de poudre et de sirop.

Le temps de quelques jours nous aurons vécu à un autre rythme, le rythme d’une absolue liberté, de dormir où l’on veut, de manger dans les collines, de nous laisser porter par l’impulsion du moment, prenant des routes qui nous inspirent, sans chercher à rallier tel ou tel itinéraire… Des découvertes très personnelles, des moments magiques, des moments de lecture et de discussions sur le monde, sur la ruralité, sur le bio, sur les traditions… Un mode de vie comme on n’en fait plus, qui semble tellement lointain et inatteignable, et pourtant, si simple à revendiquer…

Les lignes de Giono nous auront touchés au cœur, portés au loin, elles auront résonné sur les murets, dans les ruelles, au bord des rivières, bercées par le roulis des pierres de montagne, et dans le secret du soir, à la lueur d’une lampe frontale… Ses textes nous auront guidés à imaginer la vie de ces paysans pas si lointains que cela, et qui auraient pu être nos ancêtres, nos grands-parents ou arrière-grands parents…

Qu’a-t-on fait de ce monde-là ? Peu de gens sont encore conscients des richesses qui se cachent dans les campagnes et dans un retour à un mode de vie authentique. Certains, gardiens de la tradition, savent bien ne pas les vanter, ces richesses : éviter la peste du tourisme et de ses itinéraires fléchés sans fantaisie, le piège de ses produits phares, de ceci à voir ou à faire ab-so-lu-ment… Vivre et partager, comme antan, ce que l’on peut avec qui l’on veut… Il y a vraiment de quoi remettre en question les modes de vie qu’on a voulu nous vendre, et qui mènent à notre perte, dont nous sommes aujourd’hui les esclaves. On nous tourne en bourrique avec des injonctions diverses, payer comme-ci, consommer comme-ça, acheter telle voiture, tel saucisson, suivre des modes, faire comme le voisin… La publicité nous assomme, nous a fait perdre le goût du beau, le bon sens. La société algorithmée nous guette au tournant, où tout sera prédit, tout sera automatique et plus rien spontané on intuitif – car même notre intuition est polluée : vous avez tel âge, vous vivez dans telle région ? Alors, vous devez aimer telle musique, tel fromage, et acheter tel type de chaussures… Au secours ! Sortons de la matrice !!

Échapper à la fatalité, aux automatismes, déjouer les cookies, les programmateurs, les robotisateurs de l’espèce humaine, les correcteurs et les standardisateurs de la vie, ceux qui veulent nous dicter comment vivre et comment penser. Célébrer la perfection de l’imparfait, de l’imprévisible, de l’imparable, de l’impossible, de l’impersonnel et de l’impertinent… Retrouver le goût du local, du beau, du bon, du simple… de l’interdit ! Le goût du contact avec l’eau, avec les oiseaux, avec la roche, avec les humains, l’éblouissement d’un coucher de soleil (pas forcément sur Instagram…), la splendide sensation de faim qui nous chatouille le fond de l’estomac… Voilà ce que nous enseignent Giono et ses écrits, ses personnages hauts en couleur, ses perles de la nature égrenées comme de rien au fil des pages, des moments de la vie, des roues qui tournent; des graines de beauté suspendues en vol, entre le lancer et la germination… 

(c) DM

6/8 La sobriété heureuse… de Barret-sur-Méouge à Rosans, l’Ouvèze

Au matin, sur la montagne de la Chabre, la brume se dissipe lentement… Les contours des collines émergent peu à peu des nuages filocheux, telle une vision primordiale, et se laissent dessiner par la main d’un artiste en veine de création. Les formes d’abord floues se précisent, en plusieurs traits hésitants on commence à percevoir l’ombre pesante d’une bête endormie, avant que la ligne d’horizon n’apparaisse, triomphante, dans une lumière de début de monde.

Les habitants du vieux cimetière, discrets et silencieux, nous ont laissés dormir tranquilles.

Le moment est de grâce, l’heure ne compte plus, il doit être près de dix heures quand nous redescendons, Delphine et Maître DuBob en footing sur les pentes pierreuses de la route ravinée, que G. négocie au volant de la Berlingomobile avec hardiesse et prouesse !

Notre route de Giono non-officielle, pleine de détours et de zig-zags, et d’inspirations subites, se poursuit dans des vallées sèches, rocailleuses, où alternent lavandes et lavandins. Le plateau que nous sillonnons se situe entre 600 et 700 mètres d’altitude, les falaises de calcaire qui le dominent – épaisses comme des sandwichs au pain de mie, tranchées de tapenade brune et de laitue verdoyante – doivent culminer à 900 ou mille mètres.

Petite halte très bienvenue à Séderon, son boulanger artisanal (passé au crible par l’esprit critique de G.) son lavoir et ses fontaines d’eau potable. Lavoir agrémenté d’une table de picnic (café-croissants), doté d’un débordement à l’abri des regards et d’un savon de Marseille qui seront salutaires pour notre état d’hygiène corporelle, après une quatrième nuit dans la brousse.

Des draps sèchent au grand air du matin sur des fils derrière le lavoir, on ne sait à qui ils appartiennent – ont-ils été lavés à l’ancienne, au lavoir ?

A Séderon dit-on, on voit des chapeaux ronds; des motards, des campings-cars et des gros camions. La départementale passe au milieu de ce minuscule village, donnant lieu à des scènes dignes de notre attention narquoise : un camion de trente tonnes croisant un camping-car dans une ruelle étroite, entre des murs de maisons hautes et tout noircis de carbone, sous le regard goguenard du pépé du coin. Tout le monde se parle, tout le monde se dit bonjour, on se sent un instant partie de la vie locale…

Le village se referme à peine midi sonnés.

Nous le traversons à pied et réalisons qu’il est le point de départ de pas mal de grandes randonnées à travers la Drôme provençale : les itinétaire proposés vont de 4 heures à deux jours ….

Nous y faisons aussi lecture à haute voix sur un muret au bord de la Méouge, devant la boutique du coiffeur local (dont le carnet de bal est plein dès 13h, dommage, j’aurais bien fait une petite mise en plis …). Cueillette de quelques grandes tiges de menthe sur un terrain vague au bout d’un parking, qui s’avère être la propriété d’une dame très sympathique qui n’en prend pas ombrage ; diverses rencontres et salutations aimables, et élaboration de deux bouteilles d’eau aromatisée qui nous vaudront un beau concours de saveurs et une harassante chasse au bouchon – que nous retrouverons grâce à la désinvolture bourrine du chien !

Concours d’eaux aromatisées

Bouteille 1 (G.) : miel thym citron grain de raison pomme sureau

Bouteille 2 (D.) : menthe gingembre miel citron absinthe

Le tout dans une eau de source tirée à la fontaine : un vrai bonheur !

Poursuite vers Buis-les-Baronnies le long des berges de l’Ouvèze – rivière gionienne par excellence. Picnic tardif et sieste au bord de l’Ouvèze à Sainte-Euphémie. C’est joli joli (et c’est un euphémisme), il y a un square, une descente vers l’Ouvèze et quelques villas secondaires. La seule personne qui me parlera mal de tout ce voyage sortira d’une de ces villas – elle a une voiture immatriculée 92 et un air faussement relax de parisienne en villégiature.

Dégustation de la bouteille D. (marque déposée « Santé-Zen ») et de la bouteille G. (marque déposée « Santé-Million ») – les deux valent la palme, mais celle de G. se conservera plus longtemps !

Enorme antenne 5G à cent mètres à peine du village – mais non, tout va bien bonnes gens, rien d’anormal, dormez sur vos trois oreilles !!!

Remplissage des gourdes à nouveau à la fontaine.

Passage des cols d’Ey et de Soubeyrand qui nous valent des petites routes tournicotantes, un coucher de soleil jaune et vaporeux qui joue avec les brumes dispersées sur les collines, quelques cyclistes tardifs et un petit tour dans de magnifiques champs de lavande / lavandin à plus de mille mètres d’altitude.

Arrivée au soir tombé à Rémuzat, en quête de quelque larcin alimentaire. Rien à grailler, seulement une brasserie au chef pas très avenant qui de surcroît ne propose pas de plats à emporter. Nyons ou Rosans ? Notre cœur balance mais l’âme de G. veut revenir hanter les lieux de sa jeunesse. On opte donc pour Rosans où nous arrivons à 20h30. Nous sommes un peu mieux accueillis et arrivons même – moyennant un petit malentendu – à nous taper un dîner en terrasse ! « Au Fourchat », on y mange une blanquette de la mer, chaude et gouleyante, qui ma foi réjouit les papilles, aussi loin soit-on de la mer à cet instant précis. Puis on se met en quête d’un coin pour dormir, or près du Plan d’Eau c’est trop moustiqueux et ça sent la vase, alors nous visons les hauteurs et empruntons la route qui part vers le col de Pommerol / La Fromagère. Là, nous trouvons un terre-plein dans un virage au-dessus d’un troupeau de brebis – le patou nous a bien repérés et ce nigaud hurle à la mort et ne se calmera que lorsque nous aurons fermé boutique. Notre chien, lui, ne demande pas son reste et rêve de lapins aux senteurs de thym qui bondissent dans la garrigue.

Excellente nuit, la chaise pliante trouvée à Sainte-Euphémie nous permet de se laver les dents assis : le luxe absolu !

(c) DM

5/8 Tristes collines… de Manosque à Sisteron, la Méouge

La presqu’impasse qui la veille au soir semblait si calme, se révèle au matin lieu d’allées et venues fréquentes; sans doute la Maison de la Nature située au bout, et les travaux EDF dans un chemin de terre le long du ruisseau emploient-ils de nombreuses personnes – quelques-unes, curieuses de notre campement improvisé…

En reprenant la route du col pour redescendre vers Dauphin, nous remarquerons de jour d’autres détails comme des piquets jaunes dans la colline et de discrets panneaux jaunes apposés aux poteaux électriques ou aux coins des rues, et qui comportent un langage codé : des chiffres, des lettres étranges… En fait, la colline de Manosque est truffée de cavités salines dans lesquelles sont stockés des milliards de mètres cubes de gaz méthane. Gaz de France par l’intermédiaire d’un abscons Groupement d’Intérêt Economique gère ce projet qui justifie ces panneaux laconiques de mise en garde et ce jeu de piste hiéroglyphique à chaque coin de route… Les riverains, pourtant assis sur une poudrière, ne semblent pas s’en affoler, puisque personne ne nous avait mis en garde. Nous en déduisons que la nuit, peuvent se passer des mini explosions, ou bien qu’ils fassent des manipulations ou des transferts d’une cavité à une autre, engendrant les grondements sourds que nous avons perçus…

En effet, à mi-chemin dans la descente vers Dauphin, nous tombons sur une énorme usine à gaz – véritable cicatrice dans la forêt, avec des entremêlements de tuyaux verts, de vannes rouges et de signaux de chantiers jaunes – où s’activent quelques petits hommes (pas verts mais en uniforme bleu et au casque jaune), et par la femêtre je leur crie la mauvaise blague que cela sent le gaz.

Le tout serait presque esthétique si cela ne laissait un triste goût de mutilation. Partout dans le monde, la course à l’énergie a laissé des cicatrices purulentes sur les flancs de la terre, que ce soient les exploitations pétrolières dans les plus beaux paysages d’Alaska, l’éventrement de la forêt amazonienne ou la présence invisible mais menaçante des déchets nucléaires dans des containers au fin fond de la mer de Somalie et ailleurs; et aujourd’hui les grands serveurs numériques installés dans les déserts de l’Arizona, en Chine ou dans les steppes glacées d’Europe du Nord, qui surchauffent en permanence (occasionnant en passant une consommation électriques échevelée) pour nous fournir un accès toujours plus immédiat à internet, des échanges de données toujours plus rapides, des téléchargements et des stockages de milliards de messages, de photos et de films dont nous n’avons que faire…. Sans parler des satellites et de la pléthore de déchets qu’ils engendrent, pollution que nous avons exportée au-delà de notre univers terrestre, là-haut dans les cieux. Tout ce non-sens destructeur, pour un mode de vie basé sur l’énergie et la consommation inconsidérée, inconsciente. Qu’ont-ils fait de la planète ? Que faisons-nous de la planète, lorsque nous consommons sans réfléchir, de l’électricité, du gaz, de l’eau, du papier, de la viande, des emballages plastique, des données sur les réseaux sociaux, rendus inconscients de l’impact de nos gestes par la vilaine propagande nous enjoignant à consommer, donc à payer … ?

Dégoûtés et quelque peu introspectifs, nous piquons plein nord sur Sisteron, le long de la Durance. Adieu le Lubéron !

Arrêt café à Maillane, dans les Bouches-du-Rhône, sa mairie fortifiée, son hommage à Frédéric Mistral, son auto-école M.D.R. : Maîtrise De la Route… et un long chemin dans un bois un peu mal entretenu.

Nous retrouvons un peu de composition dans un parc de l’hôtel de ville de Sisteron où nous pique-niquons en discutant le coup avec un employé de mairie chargé de l’entretien des espaces verts mais qui semble aimer le contact puisqu’il passe quelques minutes avec nous et paraît familier avec d’autres visiteurs, sans doute des réguliers. Il nous vante les mérites de sa tondeuse électrique, silencieuse et sans odeur – nous disant avoir souffert de respirer des années durant les émanations d’une tondeuse à essence. Nous ne pouvons qu’opiner du chef, tout contents qu’il ne gâche pas notre halte, ni en odeur, ni en bruit de moteur. Nous l’observons du coin de l’œil tondre un talus en pente et nous demandons s’il va ramasser un masque qui traîne sur la pelouse – nouvelle et innombrable source de pollution… L’aurait-il fait de toutes façons ? A-t-il senti notre regard ? « La conscience est décuplée par le regard des autres » assénai-je comme une vérité de l’instant. « La feuille de platane est une feuille emblématique de l’automne, quand elle tombe » réplique mon compagnon de voyage.

L’employé nous parle du maire, nous disant que c’est un personnage (digne de Giono?) qu’on ne peut pas rater si on le croise, et nous décrit ses caractéristiques physiques. En effet, alors que nous nous relevons pour aller explorer la vieille ville, celui-ci apparaît, paternaliste et bedonnant, sur le trottoir devant les bureaux de la communauté de communes pour fumer un clopot, jetant un regard panoramique et distrait alentour, comme pour jauger l’humeur de ses administrés.

Dans les ruelles de Sisteron nous acquérons une nouvelle ceinture, un flan (la vendeuse de glaces est un peu trop stricte sur le pass sanitaire), et longeons la base du fort avant de redescendre par un parc en pente sous les pins, où nous ferons une petite halte sur une table de picnic et des bancs de bois, dont les pieds sont (plus ou moins bien) étudiés pour contrecarrer la forte pente du terrain (d’où l’expression de parc-à-pic).

Le périple se poursuit par la vallée de la Méouge, un défilé sauvage et aride qui nous mène, à sa sortie, à un petit village, Barret-sur-Méouge, où un panneau Ecoloc nous fait nourrir le doux espoir d’une épicerie; en fait une épicerie communautaire « éco-fermée » aux horaires minimum, style deux heures par jour, les mardis et vendredis … apparemment nous ne sommes pas dans un jour de chance, mais en tous cas, ses horaires fantaisistes et son personnel « néo-babos » auront le mérite de nous avoir fait rire.

Au-dessus du village, la chapelle du 12è siècle en ruine nous fait un clin d’œil. Nous entamons une petite route caillouteuse et creusée par les grosses pluies, dont nous n’imaginions pas les ornières et qui fait un peu riper les pneus au bord du vide. Bivouac sur un éperon derrière le cimetière – dont les résidents nous acceptent sans râler.

« Le poète doit être un professeur d’espérance » – Jean Giono

(c) DM

4/8 Mystères et tremblements… des Mourres (Forcalquier) à Manosque

Mystères et tremblements… des Mourres (Forcalquier) à Manosque

Nuit de pleine lune, orbe gigantesque dans un ciel pur illuminant d’une ambiance étrange les silhouettes de calcaire aux contours vivants. Présences fantômatiques qui semblent se mouvoir et se pencher pour frôler le promeneur ou lui susurrer des révélations  mystiques à l’oreille… Cette beauté féerique aux traînées blafardes égaye pour une fois les nuits sans sommeil de Dame Delphine… Rappel à célébrer le mystère, la beauté, l’étrangeté de l’univers qui nous entoure, rappel à notre minusculité devant les grands rouages de la mécanique du ciel, appel à la beauté du secret, à plonger dans le mystère des origines de la Vie, appel à vénérer sans comprendre, à chérir sans saisir, à révérer sans posséder ni déconstruire, ni dominer, ni dépasser… Bob le Jaeger, toujours partant et frétillant sur ses quatre pattes, sera de la partie, tout étonné de cette balade nocturne impromptue; et, au petit matin, poussé par la solitude, l’aviateur K. les rejoint.

Du coup, éclipsé par la toute-magnificence de la pleine lune, le lever de soleil passera inaperçu, tout ce petit monde récupérant une petite heure de sommeil lourd, volant un peu de réconfort au Temps qui passe inexorablement.

Balade un peu à l’aventure, sur description d’un couple croisé au départ du chemin, nous nous lançons dans les collines au parfum de thym vers le Clos de Mély, puis sur les crêtes, puis dans la combe qui redescend trop bas… les marques jaunes au début nous sauvent, puis nous égarent, il fallait sans doute prendre un chemin de traverse pour compléter la boucle. Du coup, les deux heures prévues se changent en trois heures et demies; heureusement que nous avions un peu d’eau avec nous car le soleil commence à taper… Rencontre du troisième type avec un électro-cycliste aussi paumé que nous, qui avec ses équipements sportifs, son sourire béat et sa langue bien pendue semble tombé d’une autre planète, et confirme mes intuitions pour un retour à la case départ à travers la garrigue.

Remontée vers un petit barrage, le long d’une coulée d’eau dont les goulottes calcaires forment des mini-piscines qui invitent au barbotage. Le chien s’y jette tel un condamné sur sa dernière pitance, suivi de Dame D. qui bénit autant que lui l’occasion de se rafraîchir… Fin de balade en mode déshabillé histoire de sécher à l’air pur et au soleil, nous traçons notre chemin à la sauvage à travers les buissons, en suivant parfois les sentiers des bêtes et le pifomètre, le tout nous ramenant finalement (habillés) au site des Mourres où est garé notre sweet home mobile.

Pic-nic au plan d’eau des Buissonnades à Oraison, une base de loisirs de l’autre côté de la Durance, qui s’avère pas si touristique de ça, en tous cas pas à cette saison ni à cette heure. La baignade est à nouveau bienvenue dans l’eau fraîche et limoneuse, suivie d’une douche et même d’un lavage de cheveux au savon de Marseille pour les plus braves. Champs de courges gigantesques à la sortie du plan d’eau !

Départ pour Manosque, petit tour dans la  vieille ville où nous prenons (encore) à la sauvette un apéro sur une terrasse, bière et pastis. La serveuse du café est aux aguets, la « Nationale » rôde, car s’ouvre ce soir un festival littéraire sur l’une des placettes haut perchées de la ville, pas loin du centre Jean Giono sans doute (que nous ne visiterons pas). Et dans un magasin de vélo, on trouve même une rustine à vingt heures pour réparer l’un des matelas de camping percé !

Renseignements pris, nous montons au Col de la mort d’Imbert au-dessus de Manosque pour y admirer le ciel rougeoyant au coucher du soleil et trouver un spot pour crécher. Ambiance compacte et mystérieuse, forêt de pins et chênes, ombres foisonnantes, route sinueuse et déjà impressionnante de bruissements crépusculaires. Plus loin, le bord de route est clôturé, des panneaux nous intriguent : « quittez la zone si vous entendez des grondements comme un moteur d’avion », mais de quoi s’agit-il ? En arrivant sur une grande épaule au-dessus du col – d’où la vue est effectivement sublime, vers l’est, l’ouest, le sud et le nord – nous sommes seuls, circonspects, à l’affût de tout signe suspect. Nous observons plus bas, dans les replis des vallées et aux pieds des falaises, les lumières qui  s’allument et clignotent une par une, révélant des villages, des routes et des villes, mais l’ambiance de film de science-fiction continue de flotter dans l’air saturé de vermillons et de violets. On s’attendrait presque à voir surgir une soucoupe volante et à la diriger pour qu’elle atterrisse sur ce maigre bras de montagne… Le suspense fait battre nos cœurs et tourbillonner nos pensées, malgré la beauté incandescente du ciel qui s’éteint.

Il ne s’agit que de quelques secondes avant que notre questionnement ne devienne plus inquiet… Nous avisons un spot sous un maigre pin battu par le vent du nord; il fait alors nuit noire. Tandis que le moteur s’éteint et que tout bruit, lentement, se pose, à part celui des bourrasques qui malmènent les bosquets, par trois fois retentissent des grondements qui semblent surgir du fond de la Terre et font vrombir les collines, comme si un monstre caché, dragon apocalyptique, faisait trembler les entrailles du monde. Silence… Puis la séquence se répète, cinq ou six fois, d’une seconde à peine chaque fois. Pris de court, et en l’absence d’une explication rassurante, nous décidons de redescendre en vitesse, un peu angoissés par cette ambiance orwellienne de fin du monde. Nous élisons domicile pour la nuit dans un goulet plus ou moins en impasse au-dessus des dernières habitations de Manosque… Bivouac égayé par le braiement des ânes et quelque berger tardif qui passe avec trois chiens tenus par une ficelle mais prêts à en découdre.

Nous aurons le fin mot de l’histoire de lendemain.