5/8 Tristes collines… de Manosque à Sisteron, la Méouge

La presqu’impasse qui la veille au soir semblait si calme, se révèle au matin lieu d’allées et venues fréquentes; sans doute la Maison de la Nature située au bout, et les travaux EDF dans un chemin de terre le long du ruisseau emploient-ils de nombreuses personnes – quelques-unes, curieuses de notre campement improvisé…

En reprenant la route du col pour redescendre vers Dauphin, nous remarquerons de jour d’autres détails comme des piquets jaunes dans la colline et de discrets panneaux jaunes apposés aux poteaux électriques ou aux coins des rues, et qui comportent un langage codé : des chiffres, des lettres étranges… En fait, la colline de Manosque est truffée de cavités salines dans lesquelles sont stockés des milliards de mètres cubes de gaz méthane. Gaz de France par l’intermédiaire d’un abscons Groupement d’Intérêt Economique gère ce projet qui justifie ces panneaux laconiques de mise en garde et ce jeu de piste hiéroglyphique à chaque coin de route… Les riverains, pourtant assis sur une poudrière, ne semblent pas s’en affoler, puisque personne ne nous avait mis en garde. Nous en déduisons que la nuit, peuvent se passer des mini explosions, ou bien qu’ils fassent des manipulations ou des transferts d’une cavité à une autre, engendrant les grondements sourds que nous avons perçus…

En effet, à mi-chemin dans la descente vers Dauphin, nous tombons sur une énorme usine à gaz – véritable cicatrice dans la forêt, avec des entremêlements de tuyaux verts, de vannes rouges et de signaux de chantiers jaunes – où s’activent quelques petits hommes (pas verts mais en uniforme bleu et au casque jaune), et par la femêtre je leur crie la mauvaise blague que cela sent le gaz.

Le tout serait presque esthétique si cela ne laissait un triste goût de mutilation. Partout dans le monde, la course à l’énergie a laissé des cicatrices purulentes sur les flancs de la terre, que ce soient les exploitations pétrolières dans les plus beaux paysages d’Alaska, l’éventrement de la forêt amazonienne ou la présence invisible mais menaçante des déchets nucléaires dans des containers au fin fond de la mer de Somalie et ailleurs; et aujourd’hui les grands serveurs numériques installés dans les déserts de l’Arizona, en Chine ou dans les steppes glacées d’Europe du Nord, qui surchauffent en permanence (occasionnant en passant une consommation électriques échevelée) pour nous fournir un accès toujours plus immédiat à internet, des échanges de données toujours plus rapides, des téléchargements et des stockages de milliards de messages, de photos et de films dont nous n’avons que faire…. Sans parler des satellites et de la pléthore de déchets qu’ils engendrent, pollution que nous avons exportée au-delà de notre univers terrestre, là-haut dans les cieux. Tout ce non-sens destructeur, pour un mode de vie basé sur l’énergie et la consommation inconsidérée, inconsciente. Qu’ont-ils fait de la planète ? Que faisons-nous de la planète, lorsque nous consommons sans réfléchir, de l’électricité, du gaz, de l’eau, du papier, de la viande, des emballages plastique, des données sur les réseaux sociaux, rendus inconscients de l’impact de nos gestes par la vilaine propagande nous enjoignant à consommer, donc à payer … ?

Dégoûtés et quelque peu introspectifs, nous piquons plein nord sur Sisteron, le long de la Durance. Adieu le Lubéron !

Arrêt café à Maillane, dans les Bouches-du-Rhône, sa mairie fortifiée, son hommage à Frédéric Mistral, son auto-école M.D.R. : Maîtrise De la Route… et un long chemin dans un bois un peu mal entretenu.

Nous retrouvons un peu de composition dans un parc de l’hôtel de ville de Sisteron où nous pique-niquons en discutant le coup avec un employé de mairie chargé de l’entretien des espaces verts mais qui semble aimer le contact puisqu’il passe quelques minutes avec nous et paraît familier avec d’autres visiteurs, sans doute des réguliers. Il nous vante les mérites de sa tondeuse électrique, silencieuse et sans odeur – nous disant avoir souffert de respirer des années durant les émanations d’une tondeuse à essence. Nous ne pouvons qu’opiner du chef, tout contents qu’il ne gâche pas notre halte, ni en odeur, ni en bruit de moteur. Nous l’observons du coin de l’œil tondre un talus en pente et nous demandons s’il va ramasser un masque qui traîne sur la pelouse – nouvelle et innombrable source de pollution… L’aurait-il fait de toutes façons ? A-t-il senti notre regard ? « La conscience est décuplée par le regard des autres » assénai-je comme une vérité de l’instant. « La feuille de platane est une feuille emblématique de l’automne, quand elle tombe » réplique mon compagnon de voyage.

L’employé nous parle du maire, nous disant que c’est un personnage (digne de Giono?) qu’on ne peut pas rater si on le croise, et nous décrit ses caractéristiques physiques. En effet, alors que nous nous relevons pour aller explorer la vieille ville, celui-ci apparaît, paternaliste et bedonnant, sur le trottoir devant les bureaux de la communauté de communes pour fumer un clopot, jetant un regard panoramique et distrait alentour, comme pour jauger l’humeur de ses administrés.

Dans les ruelles de Sisteron nous acquérons une nouvelle ceinture, un flan (la vendeuse de glaces est un peu trop stricte sur le pass sanitaire), et longeons la base du fort avant de redescendre par un parc en pente sous les pins, où nous ferons une petite halte sur une table de picnic et des bancs de bois, dont les pieds sont (plus ou moins bien) étudiés pour contrecarrer la forte pente du terrain (d’où l’expression de parc-à-pic).

Le périple se poursuit par la vallée de la Méouge, un défilé sauvage et aride qui nous mène, à sa sortie, à un petit village, Barret-sur-Méouge, où un panneau Ecoloc nous fait nourrir le doux espoir d’une épicerie; en fait une épicerie communautaire « éco-fermée » aux horaires minimum, style deux heures par jour, les mardis et vendredis … apparemment nous ne sommes pas dans un jour de chance, mais en tous cas, ses horaires fantaisistes et son personnel « néo-babos » auront le mérite de nous avoir fait rire.

Au-dessus du village, la chapelle du 12è siècle en ruine nous fait un clin d’œil. Nous entamons une petite route caillouteuse et creusée par les grosses pluies, dont nous n’imaginions pas les ornières et qui fait un peu riper les pneus au bord du vide. Bivouac sur un éperon derrière le cimetière – dont les résidents nous acceptent sans râler.

« Le poète doit être un professeur d’espérance » – Jean Giono

(c) DM

Publié par

àtoutallure

aventurière de l'esprit

2 réflexions au sujet de “5/8 Tristes collines… de Manosque à Sisteron, la Méouge”

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