« J’aime Rosans, Rosans m’aime-t-il ? » Souvenir de jeunesse de G., un graffiti mural qui lui avait valu un bref séjour à la Gendarmerie locale. Au matin nous redescendons donc de nos hauteurs vers le village, hanter ces lieux de sa jeunesse. Nous contournons Rosans à pied, en quête de souvenirs, prenons un café à La Boule d’Or en face d’une splendide vue sur la vallée, faisons des plans pour trouver un petit coin de terrain… visite de l’église inopinément ouverte par des paroissiens au bénitier plein de grenouilles, remplissage des bouteilles à la fontaine (nous trouverons une autre fontaine sur un parking au bord de la route de Nyons, dans les gorges de l’Eygues), halte à Sahune où nous achetons des olives et découvrons un excellent petit vin local, le Domaine du Rieu Frais à Sainte-Jalle, au pied des routes des cols, où nous sommes passés deux fois lors de nos boucles tournicotantes… A Sahune aussi, nous croisons sur le parking une bande de jeunes vivant en truck, van et camion aménagé.. et faisant du yoga sur le béton du parking, devant les toilettes publiques. Petit marché local aux portes de Nyons où nous acquérons quelque litres d’huile d’olive et quelques jolis oignons doux.
A Nyons nous optons pour un picnic sur les rives caillouteuses de l’Eygues. Notre pizzaïolo favori étant fermé, nous avisons une autre pizzeria sur la place centrale pour G., et des ravioles à la ricotta pour D. à la sandwicherie. C’est samedi, les rues du centre sont animées, les terrasses aussi, la rivière coule pour nous sous le pont romain qui nous protège de son arceau harmonieux et ses galets ronds nous chatouillent les orteils… Je traverse la rivière, peu profonde, à pieds, avant d’improviser une sieste un peu pointue sur les cailloux.
C’est ensuite le temps du retour, nous prendrons encore des voies de traverses, essuierons un orage dantesque, nous émerveillerons devant plusieurs arcs-en-ciel, une halte à Dieulefit… nos pensées nous laissent traîner encore dans les méandres de ce périple aux tons d’olive, aux senteurs d’herbe sèche et de pierre calcaire, aux sons d’eau vive et de cigale, au goût d’anis et de lavande, au palper de poudre et de sirop.
Le temps de quelques jours nous aurons vécu à un autre rythme, le rythme d’une absolue liberté, de dormir où l’on veut, de manger dans les collines, de nous laisser porter par l’impulsion du moment, prenant des routes qui nous inspirent, sans chercher à rallier tel ou tel itinéraire… Des découvertes très personnelles, des moments magiques, des moments de lecture et de discussions sur le monde, sur la ruralité, sur le bio, sur les traditions… Un mode de vie comme on n’en fait plus, qui semble tellement lointain et inatteignable, et pourtant, si simple à revendiquer…

Les lignes de Giono nous auront touchés au cœur, portés au loin, elles auront résonné sur les murets, dans les ruelles, au bord des rivières, bercées par le roulis des pierres de montagne, et dans le secret du soir, à la lueur d’une lampe frontale… Ses textes nous auront guidés à imaginer la vie de ces paysans pas si lointains que cela, et qui auraient pu être nos ancêtres, nos grands-parents ou arrière-grands parents…
Qu’a-t-on fait de ce monde-là ? Peu de gens sont encore conscients des richesses qui se cachent dans les campagnes et dans un retour à un mode de vie authentique. Certains, gardiens de la tradition, savent bien ne pas les vanter, ces richesses : éviter la peste du tourisme et de ses itinéraires fléchés sans fantaisie, le piège de ses produits phares, de ceci à voir ou à faire ab-so-lu-ment… Vivre et partager, comme antan, ce que l’on peut avec qui l’on veut… Il y a vraiment de quoi remettre en question les modes de vie qu’on a voulu nous vendre, et qui mènent à notre perte, dont nous sommes aujourd’hui les esclaves. On nous tourne en bourrique avec des injonctions diverses, payer comme-ci, consommer comme-ça, acheter telle voiture, tel saucisson, suivre des modes, faire comme le voisin… La publicité nous assomme, nous a fait perdre le goût du beau, le bon sens. La société algorithmée nous guette au tournant, où tout sera prédit, tout sera automatique et plus rien spontané on intuitif – car même notre intuition est polluée : vous avez tel âge, vous vivez dans telle région ? Alors, vous devez aimer telle musique, tel fromage, et acheter tel type de chaussures… Au secours ! Sortons de la matrice !!
Échapper à la fatalité, aux automatismes, déjouer les cookies, les programmateurs, les robotisateurs de l’espèce humaine, les correcteurs et les standardisateurs de la vie, ceux qui veulent nous dicter comment vivre et comment penser. Célébrer la perfection de l’imparfait, de l’imprévisible, de l’imparable, de l’impossible, de l’impersonnel et de l’impertinent… Retrouver le goût du local, du beau, du bon, du simple… de l’interdit ! Le goût du contact avec l’eau, avec les oiseaux, avec la roche, avec les humains, l’éblouissement d’un coucher de soleil (pas forcément sur Instagram…), la splendide sensation de faim qui nous chatouille le fond de l’estomac… Voilà ce que nous enseignent Giono et ses écrits, ses personnages hauts en couleur, ses perles de la nature égrenées comme de rien au fil des pages, des moments de la vie, des roues qui tournent; des graines de beauté suspendues en vol, entre le lancer et la germination…
(c) DM
magnifique Dhafer youssef pour célébrer
« la perfection de l’imparfait »
merci DM
J’aimeJ’aime
MERCI Jorge de votre lecture et présence ! Au plaisir d’un autre moment partagé….
J’aimeJ’aime