L’être précède la pensée ! Ce n’est pas la pensée qui détermine l’existence de l’être, c’est la conscience de l’être qui permet à la pensée de se développer.
Il est temps de remettre dans l’ordre ce paradigme cartésien dans lequel nous avons tous été formatés dans nos études (à une époque où l’école enseignait encore quelques notions de philosophie) et selon lequel la preuve de mon existence réside dans le fait que ma pensée fonctionne !
Ce n’est pas la pensée qui crée la conscience, c’est la conscience qui permet à la pensée de s’exprimer.

Ce n’est pas la pensée non plus qui permet de percevoir l’être : l’être pré-existe dans toutes ses potentialités dès le moment de la fécondation, il se déploie dès cet instant dans les qualités de son existence, de son âme. L’être se perçoit par l’intuition fondamentale que nous sommes vivants, qui est une intuition non pas rationnelle mais une sorte de connaissance immédiate et certaine, inéluctable, indéniable.
Seule la conscience de mon existence permet alors au mécanisme de ma pensée de se développer et d’élaborer des théories, d’analyser ses ressentis et son environnement, de tenter de mettre des mots et donner un sens à tout ce qui me traverse, pensées, émotions, perceptions des sens, mémoires…
Si je n’avais pas conscience d’abord de mon existence, je ne serais qu’un mollusque parmi d’autres ou qu’une bactérie grouillante cherchant à se reproduire et à survivre. Mais si je considère en premier lieu la conscience que j’ai de ma propre existence, alors cette conscience constitue la base qui me permet de me distancier, me décoller de cette simple existence, et dans ce recul de tenter de comprendre le mystère qui entoure le fait même que j’existe.
La conscience est primordiale, et permet d’appréhender le fait que je suis en vie – même si je ne comprends ni comment ni pourquoi. Cette première « pensée » en quelque sorte, donne lieu ensuite à tous les développement habituels de la pensée : le fameux qui suis-je, où cours-je et dans quel état j’erre… Tous ces développements de la pensée sont permis par le fait que c’est ce « Je » qui pense, ce « Je » primordial qui constitue mon existence plutôt que mon identité, et qui appartient à un domaine, un royaume, un univers que je ne maîtrise pas. Ce « Je » primordial est donc l’essence même de mon existence et se rattache à un « Je » plus indéfini, que l’on pourrait appeler le « Soi », qui constitue la Source de tous nos « Je » réunis, l’Origine.
L’identité que nous nous forgeons n’est qu’un exercice de la pensée pour tenter de cristalliser et contrôler ce « Je » qui nous dépasse par sa grandeur originelle. Nous tentons alors de le rapporter à des dimensions plus modestes, afin de parvenir à en faire un élément maîtrisable.
Le petit « je » social, le « je » familial, le « je » culturel et historique (imprégné de son histoire) – qui sont tous des « je » pensés – ne sont alors que le pâle reflet du « Je » créatif qui a fait de nous des êtres vivants – et découlant, pensants.
A partir de cette constatation, on ne peut que tenter de se libérer de ces multiples « je » qui nous manipulent, et se méfier de notre pensée cartésienne qui veut tout disséquer et réduire à sa mesure, pour retrouver le « Je » originel qui est là dès notre conception, et qui procède d’un mystère que nous devons admettre ne pas pouvoir comprendre ni maîtriser !
En fait, l’on s’aperçoit que, dans un sens ou dans l’autre, cette expression nous ramène au même point, pourvu que l’on entende la pensée comme outil de connaissance intuitive et non simple capacité à raisonner (qui serait la pensée logique).
Cette connaissance intuitive nous amène à une autre réalité : Descartes lui-même en conclut l’existence de Dieu, par le seul fait que l’homme peut ainsi penser son existence, c’est à dire concevoir le « Je » profond et intuitif. A l’instar des grands maîtres spirituels de notre siècle, il reconnaît que le simple fait de se ressentir comme existant – donc la conscience du Soi – est une preuve que Dieu demeure en nous. J’en parlais récemment dans mes Carnets de l’Inde : « Le sentiment le plus immédiat de chacun, « Je suis », n’est pas une illusion mais une expérience réelle et intuitive » écrit Chandra Swami, grand sage indien, dans son livre, l’Approche du Divin. « Il est impossible d’expérimenter « Je ne suis pas »... Dieu, dont l’existence ne peut être prouvée de manière rationnelle, peut alors néanmoins se révéler comme évidence intuitive : il serait donc le « Je suis », notre véritable Soi.
DM, octobre 2024
(photo de couverture DM, pointe Saint Matthieu)
(voir article https://feuillesdenvol.com/2024/05/16/3-3-la-devotion-art-de-linde/)










