Tout doux

Tout doux, inspire

retrouve la palpitation de ta chair

renoue avec tes désirs

Tout creux, le cri

que l’on n’entend pas

mais qui remplit l’espace

Tout seul, le martèlement

de ton âme qui n’en a pas fini

avec la vie

Tout près, accueille

dans tes narines frémissantes

l’odeur de la joie retrouvée

Tout à l’heure

tu ouvriras la porte

qui mène tes pas vers l’infini

Brume automnale

C’était l’époque où la brume hésite à se glisser dans les futaies

L’époque des petits matins ourlés de blanc et des soirées courtes, éphémères et silencieuses

Chaque brin de lumière volé à la pâleur morose du jour

arrache un cri de gratitude au coeur

encore chaud des brises de l’été 

Lorsque le bleu perce, il éblouit l’esprit

Il emporte le blanc avec lui

Et quand la nuit arrive, de ses voiles argentés

elle éteint tout d’un coup, et le ciel,

et l’envie de vivre ou de rire ou de danser

La brume hésite à se lever

Reviennent nous hanter

certaines mémoires oubliées

Il y a quelque chose de gracile dans ces bras de fée dénudés

dans ces silhouettes pétrifiées

rosies par le linceul étincelant

Quelque chose qui nous ramène à notre propre expérience

de l’intempestif, de la cruauté

d’un monde qui sommeille sans se rendre

Une sonorité creuse sort des troncs emmêlés

où le lierre s’agace à grimper

L’écho se fait ivresse

Dans le froissement des coeurs l’attente se fait chair

Une lueur sonde les profondeurs capitonnées

de nos réflexes ancestraux

Une vitalité inconnue surgit, rassurante, 

de la brume effilochée qui rumine

D’un chuchotement humide, 

la rosée grimpe aux arbres et fourmille

Et la mélancolie s’empare des êtres purs, 

les enlace et les étreint

Ceux qui sans concession cherchent à percer le mystère

voient au-delà de leurs propres yeux

s’éclairer les ombres pâles qui oscillent entre-deux

Un renard glapit

et c’est toute la terre qui chante en ut

l’hymne arbitraire de la vie

tandis que les fantômes s’agitent

La magie des pages jaunes

Un jour en allumant le feu – n’ayant plus de journaux je m’étais résignée à utiliser les pages du vieil annuaire, déchirées une à une, deux d’entre elles enrobant des allume-feu judicieusement disposés pour enflammer au mieux l’amas de papier et de bûchettes – en allumant le feu donc avec ce nouveau petit cérémonial : pages arrachées lentement une à une ou par grappes de plus en plus épaisses et tenaces, tronçon intérieur proche de la reliure échappant parfois à la déchirure, récupéré ensuite en quelques lambeaux par mes doigts agiles, épreuve de patience… je me pris à jeter un œil curieux sur les pages qui défilaient ainsi devant moi, et y vis tout à coup apparaître, page jaune après page jaune, tant de destins d’humains tranquilles ou chaotiques. Les uns après les autres, ils m’offraient un contact peu habituel avec les métiers les plus divers du monde. Ainsi, les audioprothésistes partaient au feu à côté des astrologues, les avocats et les assurances prenaient un café chez des vendeurs de camping-car, les coiffeurs et la construction faisaient bon ménage avec les chirurgiens et les cheminées… de fil en aiguille, couverture, dépannage, électricité, fromageries, infirmiers et généalogistes, profs de karaté et maraîchers, médiateurs et motoculteurs, pâtissiers, paysagistes et plombiers, psychologues et rénovateurs ont valsé le temps d’une dernière pirouette devant mes yeux tout absorbés par les multiples facettes d’une humanité cherchant son devenir. Partant les uns après les autres dans les cendres, pour envahir d’une douce chaleur mon bienheureux salon…. une poésie d’annuaire, pensai-je sans vraiment m’en émouvoir, puis tout de même, toutes ces vies qui partaient en fumée m’ont touchée, tous ces destins à peine croisés et déjà quittés dans un adieu incandescent… toutes ces carrières, souhaitées ou héritées, ardemment ou par habitude, ou encore par descendance (voire par condescendance), plus ou moins réussies; ces multiples visages que je ne verrais jamais, aux rides vivantes déformées par les flammes, cachés derrière un patronyme, un pseudonyme, une ligne d’annuaire… ce miroir dépoli derrière lequel s’étalaient sans pudeur des vies, des amours, des incestes, des deuils et des trahisons, à peine lisibles entre les lignes….

Voici donc la mélopée de l’annuaire :

« Car il faut bien se résigner:

De quelques lettres nous ne tenons

Qu’au fil et notre vie

Se résume en une ligne

Parfois mal accrochée ou mal tapée

Et un numéro qui souvent,

Ne répond qu’aux abonnés absents. »

En passant…

Parce que la vie est ainsi faite : de petits moments inscrits dans le vent, de petits riens qui se tiennent la main. Des instants au parfum sauvage qui nous emportent avec eux; des instants au charme ténu qui se referment comme une huître; de grands moments radieux où le corps et l’âme exultent; des instants tentateurs comme des angelots joufflus qui nous distraient et nous emmènent faire un détour, parfois un long détour… dont on se réveille avec la curiosité de celui qui a fait un rêve pénétrant, ou encore, avec une gueule de bois coriace.

Tous ces instants s’allient et s’entrecroisent, et souvent s’essoufflent tout seuls, car telle est leur nature: de passage; et nous, pauvres humains, nous les fuyons ou nous leur courons après; trop tard, nous réalisons la grâce qui vient de se passer; ou bien nous goûtons et les regardons dans les yeux, avec, déjà, la pointe amère du regret quand s’effiloche la queue de la comète. Nous tentons d’en comprendre le sens, nous aimerions les attraper, les saisir au passage et les collectionner, les disséquer, les analyser, en faire une thèse, une pièce à conviction, les rendre utiles et bêtes.

Ces chroniques de l’éphémère sont prises sur le vif, en passant. En passant dans une ville, dans un jardin, sur une autoroute, chez quelqu’un. En passant car je sais bien que mon regard, et même mes notes, n’en feront guère de plus que quelques petites traces d’oiseaux sur une neige fraiche. Elles sont une célébration de tous ces petits instants qui n’ont l’air de rien mais forment la trame d’une vie.

Regarder ce mouvement à l’ouvrage, adhérer à ses formes multiples, qu’elles soient utiles ou bienfaisantes, incompréhensibles ou violentes, et se laisser pénétrer, contenir, balloter par ces instants comme une barque sur l’océan, n’est-ce pas là ce qui donne de la saveur, de l’honneur, à la vie ?

Car finalement, comme le titre André Brink dans un de ses romans, nous ne sommes qu’Un instant dans le vent…