Bretagne; toujours…
Mon corps se souvient, au contact du rocher. De ces belles journées d’été à sautiller dans l’eau froide, de ces longs ciels bleus striés de mouettes claires, de cet espace qui s’ouvre lorsque le reste n’importe plus. Mon corps n’est pas lourd, mais sous le soleil irradiant ce matin il s’enfonce dans la matière de ce rocher comme du beurre retournerait à son état liquide. Une agréable et légère sensation de brûlure effleure ma peau, sitôt soulagée par la brise du nord-ouest qui assouvit tous mes désirs. Mon corps que personne ne touche depuis des semaines fait un avec le roc, trouve dans son contact rugueux et solide un plaisir indicible. Sans mouvement aucun, l’union s’accomplit au rythme de ma respiration, sous la chanson des vagues lointaines.
Mon corps explore ces sensations familières qui ne sont pas nouvelles mais pourtant semblaient oubliées. Il se repose dans le soutien que forme la croûte terrestre sous les blocs de rochers, jetés et plantés au bout de cette plage depuis des temps immuables. Il se projette au plus profond de la terre, dans son cœur explosif et brûlant où toute vie fut engendrée et où bouillonnent encore moultes formes inconnues. Il flotte pour ainsi dire entre ce matelas terrestre, dur mais rassurant, qui lui transmet sa force, et le ciel qui s’étend comme un voile de mariage au-dessus de lui.
Mon corps prie pour ne plus oublier. Il s’étonne de la distance qu’il a laissée se former entre ces simples messages de la nature et lui. Son écoute avec les ans s’est émoussée, il est devenu sourd aux subtiles mélopées que murmurent le vent, le sable, la mer, le roc. Même les mouettes dans leur danse erratique semblent lui reprocher sa folie. Et pourtant il sait que ces messages sont ancrés en lui, et qu’il lui suffirait d’un peu de pratique, d’un peu d’écoute pour faire renaître ce sourd désir qui affleure maintenant en tension amoureuse. Mon corps honnit ces expériences sépatrices de l’enfance qui n’ont laissé que des marques de désaffection, des idées de rupture, des isolements, des négations, des coupures d’avec le monde et son immense cœur qui palpite.