2/3 La non-dualité, secret des sages

Au cours de ce voyage, nous avons approfondi divers aspects de l’enseignement de la non-dualité (Advaïta Vedanta), en partant sur les traces de ces grands mystiques hindous, soufis, chrétiens ou d’autres origines qui l’ont pleinement réalisée. Je ne prétends pas ici refléter avec justesse l’ensemble de l’enseignement de la non-dualité, mais plutôt juste livrer les bribes de ma compréhension de cette antique philosophie qui induit une nouvelle approche de la vie, avec laquelle je vis depuis dix ans, en parallèle de trente années de pratique de hatha yoga et de méditation.

La non-dualité est une tradition issue des Vedanta (école de métaphysique indienne s’appuyant sur les grands textes sacrés : Upanishads, Veda, Bhagavad Gita…) qui tente de faire percevoir à l’individu que le moi n’est pas différent ou séparé du monde. Le moi sur lequel nous mettons tant l’accent pour nous définir, est en tout point semblable aux autres : c’est un agrégat de formes, de pensées, de mémoires, de sentiments et d’actions qui sont semblables dans leur nature à ceux des autres. Ce sont des manifestations transitoires de notre état d’être vivant, durant notre passage sur terre. Voir cela libère de notre orgueil d’être « différent ».

Cette doctrine enseigne aussi que le « Je » de « Je suis », le Je qui est Conscience, est semblable à Cela qui est immuable, qui est inchangé, et qui demeure au-delà du temps et de l’espace, avant la naissance et après la mort du corps. Le « Je » est une trace, un reflet de l’Absolu en nous.

La non-dualité repose sur l’équation entre atman (l’âme individuelle) qui est identique par sa nature au brahman, l’âme universelle ou la source. En d’autres termes, le Soi (le grand Soi ou la Conscience, pas le petit moi) n’est pas différent de l’Absolu, il est l’Absolu.

Ce nouveau regard permet de diminuer ou résorber le sentiment de séparation, donc les causes de souffrance ; tandis qu’entretenir voire renforcer l’illusion de la dualité font perdurer la séparation et la souffrance.

Quand l’être humain entretient-il ou fabrique-t-il de la dualité ?

L’être humain (qui aux origines était relié à brahman et conscient de sa nature illimitée) se prend au piège du mental et, dans la confusion ainsi crée, s’identifie (identifie le « je ») au corps physique et au mental.

Le mental est un outil qui permet d’appréhender le monde ; en réponse aux stimuli des organes sensoriels, il produit des modifications de l’esprit que l’on appelle vrittis (littéralement, vagues). Ces « vagues » apparaissent sous des formes diverses : pensées, raisonnement, concepts, imagination, décisions, émotions, sentiments, questions, comparaisons, souvenirs…

Pour apaiser son trouble, le mental va rechercher la paix dans la mauvaise direction, dans les objets du monde phénoménal : il recherche l’illimité dans le limité…

La dualité naît de l’identification du « petit moi » intérieur nourri par la pensée divisante et les conflits (autrement dit l’ego, celui qui voit tout par rapport à lui-même) à ces « vagues » ; le « moi-je » (ahamkara) qui s’identifie à l’expérience intérieure ainsi qu’à certaines manifestations extérieures qu’il croit constituer son « identité » : la matière corporelle, les pensées, le statut social, la position dans la famille ou dans la société, la profession, la nationalité, la religion…

Toutes ces classifications sociales, économiques, religieuses, nous divisent en tant qu’êtres humains, au lieu de nous relier.

Le « religere » de religion était censé nous relier : mais en fait, comme le montre le grand philosophe hindou Jiddu Krishnamurti, les religions figées en dogmes et érigées en Vérité absolue divisent et séparent en voulant s’imposer chacune comme la seule Voie possible…

En outre, l’être humain continue à créer de la dualité (donc, une hiérarchie, donc, du conflit) lorsqu’il observe les faits du monde (actions, pensées, ses paroles et celles des autres) et qu’il les juge ou les discrimine, les désire ou les rejette : celle-là, bonne, celle-là pas bonne, ça j’accepte, ça je rejette…

Également, lorsqu’il se sent différent, meilleur ou supérieur, ou inférieur, et se compare aux autres êtres humains, ou qu’il cherche à affirmer sa différence, son unicité, sa particularité, imprimer sa marque, son pouvoir, sa domination.

Les humains agissent tous selon les mêmes schémas, réagissent aux mêmes affects; insister sur le « je suis moi, différent de l’autre » a produit des croyances qui ont donné le monde conflictuel tel que nous le connaissons aujourd’hui.

Le mouvement de la création, qui aurait commencé il y a 13,8 milliards d’années, implique de minuscules particules qui composent l’univers et composent aussi la matière corporelle (à 4%), flottant dans un vide sidéral. Ces particules sont les mêmes depuis la création de l’univers, et toute la matière du Vivant en est constituée.

Nous avons aussi des mémoires communes, patrimoine génétique commun à toute l’humanité, et des mémoires différenciées mais qui dans leur nature se rejoignent : mémoires familiales, mémoires personnelles… mais là encore si nous les prenons pour constitutives de notre identité, elles ne peuvent que causer des conflits, car chacun sur la base de ses mémoires particulières cherchera à imposer son point de vue, sa manière de faire, etc.

Tout ce qui bouge, tout ce qui est changeant est jagrat : le monde extérieur et intérieur. Tout le mouvement du monde c’est maya : la valse illusoire, transitoire, qui peut produire la croyance que « je suis différent des autres ».

A l’inverse, l’être humain efface, ou réduit la dualité, lorsqu’il contemple et englobe tout sans discriminer, lorsqu’il aime inconditionnellement, est joyeux sans raison, se réjouit de la beauté et du bien, pour soi et pour les autres, respecte ses amis comme ses ennemis – tout ceci étant à la fois cause et conséquence d’un état de paix profonde.

Lorsqu’il contemple la réalité de notre même nature, il n’a plus rien à faire pour se relier aux autres, car il voit que nous sommes tous en réalité le lien. La nature du lien, c’est le témoin en nous qui observe.

Le yoga (de yug, union en sanskrit) rappelle et célébre cette reliance de tout le vivant, le liant qui donne sa saveur à la vie : la vérité se manifeste à la fois dans ses formes multiples et changeantes, éphémères, et à la fois dans le mouvement atemporel et permanent qui les sous-tend. L’observation silencieuse de ces processus crée une profondeur, une nouvelle dimension qui permet de se détacher de l’objet de l’expérience et dégage un espace de liberté intérieure.

Par la réflexion, les pratiques spirituelles et la méditation, nous devenons la conscience-témoin qui voit ceci : tout ce qui est, est Conscience.

Comment échapper à la dualité ?

La dualité naît de la fabrication du mental d’une identité illusoire à partir de tous les éléments extérieurs que nous venons de discuter. Par conséquent, à partir du moment où l’on constate ce processus et où l’on commence à purifier le mental de toutes ces fabrications, on enlève les « pelures d’oignon » qui recouvrent le véritable trésor, le cœur fondant de l’humain, la conscience que je suis une facette du Vivant : et donc, l’autre aussi l’est.

Et là je commence à me reconnaître en l’autre, et l’autre, peut-être, se reconnaît en moi…

La solution proposée par les voies non-duelles consiste à voir clairement cette réalité, à s’élever au-dessus de toute identification à des étiquettes ou des classifications ; se dégager du réflexe d’appropriation des expériences, des choses, des gens et des ressentis ; nettoyer les mémoires, individuelles et collectives – ce qui ne veut pas dire perdre les souvenirs de sa vie, mais se défaire de l’emprise qu’ils ont sur nous, sous forme d’automatismes, de schémas de pensée, de réaction, d’idées préconçues, bref tout ce qui nous détermine au lieu de nous libérer ; ne plus participer à la folie du monde créée par les conflits d’ego.

C’est donner moins de place au petit moi égotique et étriqué et faire place au Soi, celui en nous qui est illimité ; c’est devenir Un avec la Paix, la Joie, l’Amour.

C’est le but du Yoga véritable et comme le dit mon maître et ami André Riehl, pratiquant et enseignant de la non-dualité dans le tantrisme shivaïte du Cachemire (Nidrâ Yoga), « toute activité qui n’a pas pour but de réduire la séparation ne mérite pas de s’appeler Yoga ».

Contrairement au Yoga classique issu des écrits védiques (les Yogas sutras de Patanjali) il ne s’agit pas dans le shivaïsme du Cachemire d’éliminer le moi (aussi appelé ego) – tâche bien impossible d’ailleurs – mais simplement de lui donner la place qu’il mérite, et pas davantage : le moi permet de fonctionner dans le monde, d’avoir une famille, un métier, une occupation, des relations, des intérêts, et de gagner sa vie et d’établir un sain rapport au pouvoir, à l’argent et à la sexualité (vastes sujets d’enquête personnelle) mais il doit rester à sa place, il ne doit pas prendre le dessus.

La pensée logique décortique, analyse, éclaire, comprend. Le petit moi doit être guidé par le Soi unifié qui tient les rênes de la charrette (le cocher) et qui rappelle sans cesse les vraies questions à se poser : quelles sont les motivations profondes de mes actions, de mes paroles et de mes pensées ? Ce travail de purification est essentiel pour avancer sereinement sur la voie non-duelle, celle qui perçoit le monde relié à sa source comme unité et aussi à travers le prisme de ses fragmentations : aucune des manifestations de l’Énergie dans toutes ses formes de création n’est rejetée, on l’observe simplement comme l’une des diverses expressions de la Conscience divine. C’est simplement la Conscience unifiée en soi qui observe la diversité des formes extérieures (ainsi que les fragmentations de l’être intime), et tente de les voir comme émanant d’une même source.

Fréquenter les grands saints et les lieux où ils ont vécu aide à aborder ce processus et à se laisser pénétrer de ce ressenti. Au bord du Gange, la grotte du sage Vashishta (voir épisode précédent) rayonne de béatitude, ouvrant une brèche par laquelle peut se faufiler la lumière… et l’on peut avoir un éclair de sa propre nature immuable, et discriminer entre ce qui est immuable et ce qui est changeant ou transitoire (actions, affects, pensées, position sociale, énergie…)

André le transcrit à peu près ainsi : « Il n’y a rien qui ne vous appartienne : ni votre corps (amas de particules) ni vos pensées (communes à toute l’humanité). Arrêtez de vous « prendre pour quelqu’un » de spécial et regardez plutôt comment tout cela fonctionne… » Vivre ici et maintenant cette réalité produit une disparition de l’existence personnelle (telle qu’on la définit habituellement) et permet l’avènement d’une autre certitude : celle d’être, de contenir en soi TOUT le mouvement même de la Vie : c’est l’avènement de moksha, la libération intérieure.

Nous sommes semblable au Vivant, nous SOMMES l’ensemble du Vivant. Ainsi, advient la compassion pour les autres êtres humains, pour les bêtes, pour les végétaux, pour le minéral, la nature, les grands espaces, les océans, les forêts, tout cela respire, bouge, évolue, à des rythmes et selon des cycles différents, mais tout cela est vivant et nous sommes aussi tout cela.

Le but de la vie est de se souvenir de notre vraie nature, de réaliser cette Vérité. Je suis ce qui demeure lorsque le brouhaha du monde s’éteint.

Nous sommes donc invités à nous éloigner de tout ce qui est illusoire (le détachement), et chercher à l’intérieur ce qui est immobile, éternel, immortel, complet, paisible et silencieux.

Faut-il être un ascète pour vivre cela ?

Les démarches du Yoga ont toutes pour point commun de viser la libération en portant l’attention sur les sentiments, la pensée, l’action, les affects, l’énergie, bref tout ce qui constitue le fonctionnement et l’activité de l’être humain. Elles nous donnent les clés pour agir, pour changer les codes qui nous font fonctionner, et vivre enfin ce qui est, profondément, notre état naturel.

Le Yoga classique, à l’origine réservé à la caste des brahmanes, propose des voies d’ascétisme, c’est à dire de renoncement et de retrait du monde, similaires à ce que nous appelons en occident la vie monastique ou la vie d’ermite. Les voies du yoga classique ont pour bible les Yoga Sutras (aphorismes) codifiés par Patanjali. Ces voies sont au nombre de quatre : le bhakti yoga (dévotion), le jñana yoga (connaissance transcendantale par l’intellect), le karma yoga (service et action désintéressée) ou le raja yoga (voie royale qui associe les trois autres et la méditation); ce sont des voies « hors du monde » et elles impliquaient traditionnellement un détachement de la famille et des biens de ce monde.

Le yoga tantrique approche la connaissance de l’illimité par le monde limité des formes et des sens. Il propose donc de s’immerger dans le monde : c’est la « voie du monde » des Tantras (textes très anciens traitant de la libération d’énergie et expansion de la conscience). L’adepte du Tantrisme (shivaïsme du Cachemire ou kundalini) participe donc au monde, peut avoir une famille, un métier, des activités ordinaires, et il en fait un objet d’étude et de curiosité constantes : étude du monde extérieur et du monde intérieur. Il observe sans rien désirer ni rejeter, de manière à la fois détachée et englobante, comprenant qu’il est à la fois tout cela aussi.

Tout en étant dans le monde, le yogi tantrique, conscient des limites du monde matériel, célèbre toutes ses formes mais demeure détaché des aspirations habituelles : succès, famille, accomplissements, réussite, argent, bonheur. C’est le prix de sa libération intérieure, une qui procure, au-delà des fluctuations de ces manifestations mondaines, une vraie Joie, profonde et durable. Il peut donc réaliser sa vraie nature, tout en participant aux choses de ce monde.

Cela ne signifie pas qu’il n’agisse pas dans le monde, mais ses actions sont motivées non par les aspirations habituelles du moi (qui émanent de l’avidité, de l’ignorance et tendent à causer de la souffrance par leur propension à la violence et la domination) mais par la clarté limpide de sa vision lumineuse des choses et de leur réalité.

Le tantrika reconnaît et voit le divin en toute choses, sous toutes ses manifestations, que ce soient les pensées, la nature, les autres humains, la sexualité (d’où le grand malentendu en Occident sur la voie tantrique réduite à ce seul aspect). Il n’y a pas de tabou par rapport au plaisir sensuel ou à l’argent.

Épilogue

Finalement, au lieu d’un Dieu, figure extérieure qui juge ou qui accorde ses grâces, le pressentiment de l’éternel peut être perçu et cultivé de l’intérieur de soi.

Au lieu de me dire que je ne suis rien, que je suis pétrie de péché et que je dois sans cesse faire contrition, les philosophies indiennes me disent que je suis une parcelle de l’Absolu, et que je peux faire vivre et grandir ce sentiment en moi.

Au lieu de m’imposer l’humilité, on la laisse grandir en moi par le fait naturel de ma réalisation.

Plutôt qu’un rituel un peu dogmatique, perpétué par des prêtres en ma faveur, on me dit que je peux prendre ma vie spirituelle en main et rejoindre cet éternel dont j’ai l’intuition profonde.

Plutôt qu’un Dieu inaccessible, pour lequel j’ai besoin de l’intercession de l’Église et des prêtres, on me donne une méthode et des pratiques, pour atteindre par moi-même le sacré.

Ne doit-on pas chercher par là les raisons du désintérêt pour les églises de chez nous, et l’engouement pour les voies mystiques orientales ?

L’Église a-t-elle été mal comprise, ou s’est-elle imposée en institution, pour garder le contrôle sur les masses de fidèles ? Au fond, où ce pouvoir semble-t-il encore le plus établi : en Inde, où les voies du Yoga permettent à chacun d’établir une relation directe au divin, ou en Occident, où le pouvoir de parler à Dieu semble réservé aux élites religieuses ?

Il y a un chemin personnel vers Dieu… Vivre Dieu, vivre le sacré, c’est sans doute, par quelques moments magiques aux pieds de figures rayonnantes, ce qu’il nous a été donné de vivre durant ce voyage : dans la grotte de Vashishta sur un coude du Gange entouré de montagnes ; à l’ermitage de Masteram Dev, saupoudré d’or par le soir qui tombe ; au samadhi (tombeau) de Lahiri Mahasaya à Haridwar, dans les divers lieux où vécut Ma Anandamayi ; lors des pujas – cérémonies de recueillement et de gratitude pour l’abondance, offrandes au feu, des aratis – célébrations et offrandes à la déesse du Gange, garante de la vie, des satsangs – enseignements et moments de partage par la discussion ou par le chant de mantras… toutes ces opportunités qui nous ont été données d’entrer en contact avec le chant du cœur, resteront gravées dans ma mémoire comme des moments ayant imprimé – encore plus fort – dans mes cellules la ferveur et la soif d’absolu.

L’Inde terre de contrastes nous a pris à la gorge et secoués comme dans un lave-linge à essorage 1.000 tours. Au milieu de toutes ces impressions sensorielles, odeurs, bruits, sons, saleté, douceur de la soie et du cashmere, goûts épicés ou hyper-sucrés, couleurs vives et contrastes violents, chatoiement des pierres et des bijoux, silhouette hiératique des temples et des statues – tout est manifestation du sacré, qui parfois se révèle, dans un instant miraculeux de paix, suspendu dans un temps arrêté. L’Inde y ajoute cet aspect dévotionnel, tout acte émanant du cœur par amour du sacré.

texte et photo (c) D. Marie 2024

photos de couverture et du milieu : Afrique du Sud, Cape of Good Hope

Merci à André Riehl pour ses enseignements lumineux et son accompagnement bienveillant dans ce magnifique voyage vers la connaissance de soi.

Merci à toute la lignée des sages et saints maîtres Udasin transmetteurs de la tradition : Chandra Swami, Baba Buhman Shah, Udasinacharya…

Également sources d’inspiration pour cet article :

L’Approche du Divin, livre de Chandra Swami :

Documentaire sur Yogananda :

et blog sur la non-dualité : https://www.yay-yoga.com/yoga-et-savoirs/advaita-vedanta-2/

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1/3 L’Inde des swamis, des saddhus et des yogis

À suivre …

3/3 La dévotion, art de l’Inde

1/3 L’Inde des swamis, des saddhus et des yogis

Voyage au cœur d’une Inde (de plus en plus) secrète qui perdure vaillamment parmi les soubresauts de la modernité. Hors des sentiers battus, nous avons mis nos pas dans ceux des grands sages et des grands saints qui ont donné à ce pays son aura toute particulière, de quête d’absolu et de réalisation intérieure. Un cheminement serein, parfois troublé par les agitations et les trépidations du monde moderne, souvent tranquille et lumineux. Une oraison silencieuse dans l’Inde magique et éternelle.

Nous avons remonté le cours du Gange, visitant les villes saintes qui le parsèment : Bénarès, Haridwar, Rishikesh, et l’ashram de Sadhana Kendra (sur la rivière Yamuna, un affluent du Gange) où a longtemps résidé le maître éveillé Chandra Swami (avant de quitter son corps, comme il est dit ici, le 9 mars 2024).

Dans ce parcours de lumière et de dévotion, nous avons cheminé dans les traces et la présence intemporelle bienveillante de Jiddu Krishnamurti, Ma Anandamayi, Lahiri Mahasaya et Paramahansa Yogananda, Hazrat Sultan-Ul-Mashaikh, Henri Le Saux (Swami Abhishiktananda) et Marc Chaduc (Swami Ajatananda), Swami Atmananda, Ramana Maharshi, Vashishta, Baba Buhman Shah et la lignée des Udasin jusqu’à Chandra Swami et André Riehl notre instructeur et accompagnateur – yogis, moines, sages, saints, philosophes, êtres illuminés qui ont forgé et transmis l’antique sagesse indienne et posé les jalons du chemin intérieur du Yoga, voie spirituelle vers la béatitude, l’union avec le divin.

Une approche du voyage unique qu’aucun tour operator classique n’aurait pu nous offrir….

Delhi – le tombeau du saint soufi Hazrat Sultan-Ul-Mashaikh (1238-1325)

Après l’agitation de la grande ville et nos premières bouffées d’air indien et de circulation intense, nous pénétrons dans l’étroit dédale de ruelles du bazar puis, sans presque le savoir tellement les ruelles sont serrées, dans l’enceinte du tombeau où la ferveur est palpable, malgré le ramadan – ou renforcée par cette période spéciale des musulmans ? C’est l’heure de la rupture du jeûne et nous sommes reçus par Syed Faiz Nizami, descendant direct du grand saint, pour une collation, puis les musiciens soufis, accompagnés à l’harmonium et aux tambours, entament leurs mélopées rythmées et leurs harangues adressés au public qui se presse, et qui semblent des appels insistants que je traduis dans mon for intérieur comme : « L’Éternel est là, il vous attend, qu’attendez-vous pour le connaître ? »

La foule assemblée au tombeau du saint soufi

Le message des soufis est d’amour et de paix : « faire de l’homme un être vivant parfait ! » selon ce grand saint dont le mausolée accueille une vibrante communauté de toutes origines, castes ou religions. De son temps il a voulu rétablir l’harmonie entre les peuples de descendance afghane, iranienne, turque et autres qui co-habitaient sur ce vaste territoire : il ordonna à l’un de ses disciples d’inventer un langage commun pour les peuples de l’Inde : c’est ainsi que serait né l’Urdu – mélange de perse et du langage local ‘Brij Bhasha’.

Les premiers soufis étaient des Musulmans orthodoxes qui pratiquaient l’abandon, la mortification, la piété et le quiétisme (contemplation et silence intérieur).

Les soufis pratiquent aussi la tolérance, la compassion, la patience, la persévérance; le jeûne et la prière étant considérés comme les moyens de préparer le cœur à recevoir les messages du Divin.

Les liens entre le soufisme et le tantrisme sont profonds, même si certains sont réticents à le reconnaître.

Bénarès – cérémonie d’arati (adoration de la déesse du fleuve Ma Ganga)

C’est sur un point particulièrement ouvert des ghats (vastes escaliers parfois abrupts descendant vers le fleuve), au ghat Dashashwamedh, que se déroule chaque matin et chaque soir depuis la nuit des temps sans doute la célébration d’arati. Aujourd’hui devenue un peu foire commerciale, avec des animateurs arqués sur leurs micros, des vendeurs de ballons et de barbe-à-papa… malgré tout la foule est là, dense, recueillie. Et alors que lentement la nuit enveloppe les lieux, l’atmosphère de grand stade de foot se dilue et la magie et la ferveur opèrent. Le sacré reprend ses droits qu’il n’a jamais vraiment perdus. Les brahmans invoquent les éléments, allument 108 feux, sonnent les clochettes et à chaque fois se tournent vers les quatre directions. De puissantes fumées d’encens s’enroulent autour de nous et nous entraînent dans ce rituel ancestral.

Arati, les offrandes du feu
Ma Ganga sur son crocodile

La déesse du Gange, en statue géante assise sur un crocodile préside, impassible, à ces offrandes et ces adorations qui font perdurer son mythe de fleuve sacré, où se baigner lave de tous les péchés, tandis que mourir sur ses berges stoppe le cycle des réincarnations et permet d’atteindre directement l’ordre divin. Elle est la déesse de la purification et du pardon. A la fin de la cérémonie, nous remettons nos petites bougies et fleurs offertes aux flots qui emportent nos vœux les plus secrets… La soirée se termine sur la terrasse d’un délicieux restaurant non loin, rythmée par des musiciens classiques.

Bénarès – centre Krishnamurti

Havre de paix non loin du cœur battant de la ville sainte, tiraillée entre tradition et modernité. Un grand jardin silencieux, planté de dahlias, de bougainvillées… et débordant d’oiseaux. Des bâtiments clairsemés dans la nature, de grandes salles de réunion, de conférence, de méditation… on aimerait y rester pour toujours. Une vidéo sur le vrai sens de la méditation nous fait entendre les paroles du grand homme, qui prêchait le questionnement intérieur, le doute, l’indépendance de la pensée et l’observation distanciée de tout ce qui nous est « connu », comme méthode de libération. S’ensuit une discussion de groupe, où nous tentons de mettre au clair notre compréhension de ce vaste monde de silence et de connaissance de soi qui nous submerge, puis un repas pris à la salle commune. Retour par bateau sur le fleuve, vers le centre de Bénarès.

Les Aghori sont une secte un peu particulière dont les adeptes vivent en ascètes sur l’autre rive du Gange et, dit-on, sont des mangeurs de cadavres. Ici c’est fort heureusement une version plus civilisée de ce groupement que nous visitons, dans un ashram qui fait œuvre de charité dans le voisinage. L’endroit respire la tranquilité (en dépit des travaux qui concernent la réfection du portique et l’ajout de plusieurs salles à l’étage)

De honte, Kali tire la langue….

Une belle sculpture de Kali (la déesse qui détruit le mal et l’ignorance) derrière le temple représente la déesse, bleue de colère, dominant le tigre : lorsqu’elle s’aperçoit que c’est Shiva qu’elle piétine, elle se repent et sa colère se calme.

Une belle salle de méditation donnant sur la vue calme du Gange; partout où il coule, le fleuve invite à l’introspection et au recueillement. L’ashram vit de donations et recueille des jeunes garçons des rues, dont un qui est là, devenu professeur de yoga. Ils ont aussi un hôpital qui offre gratuitement des chirurgies pour les yeux, une école et un centre de formation professionnelle pour les femmes.

L’Inde regorge de ces œuvres charitables de proximité qui ont un impact direct et visible sur le voisinage (comme à l’ashram de Chandra Swami que nous rejoindrons à la fin du voyage).

Un troupeau de buffles se baigne dans la rivière : ils sont à l’aise et se laissent porter comme des ballons flottant à la surface, seules dépassent leurs têtes et l’arête de leur dos.

L’un des grands traducteurs du sanskrit et fin érudit des Tantras et du shivaïsme du Cachemire, musicien et joueur de sitar, disciple de Swami Lakshmanju (connu comme celui qui a revitalisé la tradition du shivaïsme du Cachemire), il vit en Inde depuis quarante ans et vient de terminer une traduction en anglais du Tantraloka (« La Lumière sur les Tantras ») : l’un des textes de référence du tantrisme shivaïte du Cachemire. C’est un recueil de méthodes initiatiques tantriques en 12 volumes, où sont décrites les voies de la libération, rédigé au 11è siècle par le mystique Abhinavagupta sur la base des traités (tantras) ancestraux du shivaïsme .

Mark Dyczkowski a aussi traduit le Vijñana Bhairava Tantra (« Le Livre de la Reconnaissance de Soi ou du Discernement »), un recueil de la même tradition , qui remonterait, au moins, au 7è ou 8è siècle (ou au 1er siècle selon d’autres) et présente, sous forme de dialogue, 112 méditations pour réaliser la véritable nature du Réel.

Les rives du Gange, vues d’une terrasse

Ce jour-là j’avais la nausée et je crains de n’avoir pas pleinement profité des éclairages de ce grand lettré amoureux de la culture et philosophie indiennes ; néanmoins j’en retire quelques traits saillants : la passion ou la ferveur de l’enquête intérieure, et des travaux auxquels on s’applique ; la sincérité ; persévérance ; l’humilité.

Interrogé sur ses lectures favorites, il révèle qu’à part le Tantraloka ou le Vijñana Bhairava Tantra, figurent les poésies du poète soufi Rumi.

Haridwar – cérémonie d’arati sur Har Ki Pauri

Un soir comme un autre à Haridwar, ville sainte du Gange, la foule se presse sur les bords du fleuve sacré, pour des célébrations en honneur à la déesse du fleuve et à Shiva, dont une statue géante trône au milieu des eaux. Des milliers de pèlerins sont là, dans cette ville où se tient en alternance la kumbh mela (le plus grand pèlerinage au monde, qui regroupe sur des périodes de douze années des millions de fervents hindouistes, philosophes, sages et saints)

Haridwar cérémonie sur le Gange

C’est une cacophonie de bus, d’autocars et de voitures privées, les bords du Gange sont déjà remplis, on cherche un petit coin d’où apercevoir les cérémonies, on ressent l’ardeur au milieu de cette foule recueillie, à peine parsemée de quelques touristes. La soirée se poursuit dans les ruelles gorgées de boutiques, de clochettes, de statuettes et de souvenirs, ponctuée d’un bon repas et d’un délicieux lassi (boisson au lait fermenté ;))

Haridwar – tombeau de Mahiri Lahasaya

En ce lieu si calme où des saddhus font la sieste sur le gazon synthétique (!) nous avons l’opportunité de nous relier à la grande tradition du Kriya Yoga, à travers l’ermite himalayen Babaji, son élève Lahiri Mahasaya (1828-1895), fondateur de l’école de Kriya Yoga (une lignée de yoga pour personnes vivant « dans le monde »), puis Sri Yukteswar et son disciple Paramahansa Yogananda qui a atteint une sorte de célébrité. Ce dernier, auteur de l’Autobiographie d’un Yogi, sera le premier yogi, au tout début du 20è siècle, envoyé « en mission » en Occident par son maître, qui pressent l’importance du message du Yoga pour le monde en chute libre, dont les contours se dessinent déjà sans équivoque. Yogananda atterrit en Californie en 1920, y fondera la Self-realization fellowship et déclenchera l’engouement pour le yoga et ses traditions, et la vague spirituelle que l’on sait… puis les dévoiements que l’on connaît aussi, puisque la « modernité » semble tout corrompre : gurus abusifs, sectes corrompues, et aussi yoga devenu technique de gymnastique au détriment de sa véritable nature, qui est la quête intérieure.

La grande sainte indienne Ma Anandamayi disait : « si Dieu vient vous rendre visite dans la posture… alors c’est une vraie pratique ».

Haridwar – Kankhal – samadhi et ashram de Ma Anandamayi

C’est un lieu saint et hautement chargé vibratoirement ; ici repose Ma Anandamayi (1896-1982) la grande sainte indienne – à l’inverse du commun des mortels dont les corps sont portés à la crémation, les saints sont enterrés, afin que les fidèles et dévots puissent venir continuer à se recueillir sur leur tombeau appelé samadhi. Elle est à la fois enfant, fille, femme, épouse (son mari sera son premier disciple) et Mère de toute l’humanité, de toute la création.

Dès l’âge de deux ans elle entre en samadhi (extase) lors d’un kirtan (chants dévotionnels de groupe) sur les genoux de sa mère. Puis, toute sa vie sera errance, service des pauvres, amour inconditionnel, enseignement et modèle de ferveur religieuse, mais aussi rencontres avec des personnalités : Gandhi, Nehru, des présidents, des ministres et des ambassadeurs, des dignitaires religieux, indiens et occidentaux …

De l’autre côté de la rue, sa « maison » ou en tous cas l’un des lieux où elle résida souvent. On ressent sa présence, surtout dans sa chambre : un lit modeste, un harmonium – et dans la véranda et le jardin qui descend en pente douce vers le Gange. Là, je reste un moment debout, laissant mon regard flotter au loin vers la rivière, imaginant qu’elle s’est tenue là, souvent, et je ressens une émotion profonde, une élévation de l’âme qui aspire aux beautés éternelles de l’Un.

Haridwar – puja et fête de Holi au campus de Guru Ramdev

Un moment fabuleux où nous participons à une cérémonie d’offrande et de gratitude devant le feu (puja) pour remercier pour l’abondance et les moissons à venir, à l’approche du printemps. Invités par Guru Ramdev, un disciple de Chandra Swami qui gère une énorme fondation, l’Université Patanjali, dédiée à l’éducation des jeunes dans la tradition du yoga. Guru Ramdev est également associé avec l’homme d’affaire indien Balkrishna dans la création de Patanjali Ayurved, un empire agro-alimentaire et de naturopathie, qui fait de lui un businessman moderne et de large envergure.

Une pluie de pétales de rose…

Nous sommes reçus gracieusement et un peu à la dernière minute, à cette fête monumentale en plein air à laquelle participent des centaines d’étudiants, sur le campus entouré de larges bâtiments (écoles de sciences appliquées, de psychologie, de sanskrit, sport, musique, philosophie, ayurvéda, naturopathie et yoga…) et qui culmine, ô surprise, en une grande explosion de joie sous des lancers de pétales de roses fraîchement coupées et d’autres fleurs qui embaument : ainsi la traditionnelle fête de Holi (fête du printemps, célébrée le 25 mars) nous apportera son lot de gaieté (nous échapperons le lendemain aux lancers de poudres de couleurs dans les rues qui, sous l’influence de la modernité, sont souvent accompagnés aujourd’hui de musique forte et d’alcool …)

Rishikesh – ermitage de Masteram Baba au bord du Gange

Arrivée à Rishikesh un peu déroutante : musique bruyante, rave party dans la ville, jeunes gens éméchés recouverts de couleurs (les poudres de la fête de Holi), hôtel à Tapovan en mauvais état ; publicités pour le saut à l’élastique, le rafting… on semble avoir quitté l’Inde sacrée pour se retrouver au cœur de la société du commerce mondial (il ne manque que l’apple pie…)

Et puis, une fois installés, bon an, mal an, nous sommes partis à pied traverser la passerelle qui enjambe le Gange (l’autre pont est en réfection depuis longtemps)

De l’autre côté, nous retrouvons Dieu merci les vaches sacrées, les saddhus et le calme des temples et des ashrams, en particulier dans l’ermitage de Masteram Baba, un saddhu qui y a vécu longtemps et dont la mémoire perdure, à travers ses photos, sa grotte sur le Gange, petite caverne exiguë seulement dotée d’un modeste tapis. Un jeune swami dévoué entretient l’ashram, verse des fleurs fraîches chaque jour sur les photos du maître qu’il n’a pas connu, mais dont il affirme ressentir la présence à travers ses yeux vivants, et accomplit les rites et les prières au lever et au coucher du soleil : c’est en effet le moment où une énergie spéciale se distille dans l’air, et tout Rishikesh retentit des clochettes cérémonielles et embaume d’une odeur d’encens.

Soir doré sur le Gange,
image de l’Inde éternelle…

A ce moment précis, le Gange s’est revêtu d’une parure d’or ; quelques prêtres sont descendus perpétuer les rites ancestraux au bord de l’eau ; et nous, quelque peu rassérénés, nous sommes laissé porter par la douceur de cet instant béni où tout se pose, la chaleur du jour et les pensées, les bavardages, aspirations et déceptions, pour ne laisser plus flotter qu’un instant qui s’étire, à la frontière de l’éternité …

Rishikesh – bain matinal dans le Gange

Un pèlerin en quête de l’ultime vérité (de Soi ou d’Absolu) se doit de sacrifier au rite du bain dans le Gange. Vénéré comme déesse purificatrice, Ma Ganga (Mère Gange) est aussi source de vie (le Gange et ses affluents irriguent 30% du territoire indien…) et de sagesse : il suffit de s’en approcher pour percevoir, dans sa lente fluidité, à la fois les crêtes et les creux de nos expériences transitoires, et le flot continu et immuable qui les sous-tend.

A Bénarès, il est exclu sans doute pour tout occidental raisonnable de se baigner dans le Gange, qui collecte et charrie autant les eaux usées que les déchets solides et industriels…

A Haridwar, lors de la cérémonie d’arati, j’ai pu m’y laver les mains et m’asperger par trois fois la tête de quelques gouttelettes, l’eau semblant à peu près propre, puisque la rivière y coule à 250 km seulement de sa source dans les glaciers de l’Himalaya.

Avant le bain, copain copain avec les chiens

A Rishikesh, une vingtaine de kilomètres encore en amont, le Gange ressemble à un torrent fougueux tout juste libéré de l’emprise des montagnes et prenant déjà une sorte de noble ampleur et de puissance. L’eau est claire et un peu verte, avec beaucoup de remous que l’on peut éviter en restant près de la berge, les pieds dans un sable gris clair et si fin qu’il glisse entre les orteils… Les bains du petit matin y ont été un bonheur. L’eau est fraîche mais pas glaciale (environ 14° d’après mon expérience bretonne). Il existe quelques-unes de ces petites plages bordées de gros rochers où les Indiens aiment flâner le soir ou commencer leur journée en s’imprégnant de l’atmosphère de félicité que procure le fleuve, tandis que la ville, plus haut, s’agite déjà dans le tumulte des klaxons et des activités du jour.

L’ultime satisfaction étant alors de ponctuer le tout d’un petit chaï consommé sur la plage et confectionné, bien sûr… avec l’eau du Gange (thé longuement bouilli donc sans mauvaises conséquences pour nos intestins fragiles).

Rishikesh – visite au temple de Neelkhant

Ici, en un lieu perché sur les collines, à deux heures de route (32 km) au-dessus de Rishikesh, l’on dit que Shiva a bu le poison du monde pour le libérer de ses souffrances, et que celui-ci lui a enflammé la gorge qui est devenue toute bleu foncé. Lord Shiva aurait médité ensuite pendant 60.000 ans au pied d’un bamyan pour adoucir l’effet du poison, avant de rejoindre le mont Kailash.

La route est longue et éprouvante, pleine de lacets (peut-être 60.000…) et ce jour-là il fait très chaud ; les véhicules tout terrain, bus, autocars, se succèdent et s’entassent au parking. Puis nous faisons la queue pendant un temps indéterminé pour accéder au temple. La visite elle-même se passe vite et presque décevante, on aperçoit le shiva lingam, on murmure un souhait à l’oreille du taureau qui représente Shiva. On apprend ensuite que, plutôt que de voir quelque chose, une telle visite pour les Indiens est une manière de se montrer aux dieux, de se laisser voir. Tout comme une balade dans la forêt, où au lieu de regarder les arbres, on peut se laisser regarder…

La journée se conclut par un concert de musique classique indienne sous la houlette de Shivananda Sharma, violoniste et directeur d’une école de musique pour enfants déshérités.

Rishikesh – la grotte de Vashishta

A 23 kilomètres de Rishikesh en remontant le Gange, on arrive à ce petit trésor de lieu d’où coule éternellement une énergie sacrée. On dit qu’ici, il y a 9.000ans (?) a vécu le sage Vashishta, l’un des sept rishis (grands sages, « ceux qui ont vu » auxquels a été révélée la sagesse des Védas) de l’Inde, auteur de grands textes fondateurs du Yoga Classique Vedanta. Le Yoga Vashishta par exemple, méconnu mais très riche, décrit, sous forme de dialogues et de fables, la nature de la vie, de la souffrance, des choix, du libre arbitre, du pouvoir créateur et de la libération, avec une base philosophique similaire à celle de l’advaita vedanta (la non-dualité).

A peine troublée par les rafters qui descendent le cours du Gange en criant leur excitation avant les rapides, l’ambiance de l’ashram et de la grotte est restée empreinte d’une délicieuse béatitude, de l’un de ces nectars qui marquent une étape dans le chemin de réalisation. Un autre célèbre sage, swami Purshottananda, vécut ici pendant trente ans. Je pense à la grotte de la Sainte Baume en Provence, loin tout là-bas, chez nous, d’où émane une similaire fréquence vibratoire fine et précieuse, qui amène immédiatement le visiteur à des plans supérieurs.

Un peu plus bas, surplombant le lit du Gange, se trouve une autre grotte, appelée Arundhati Guha (grotte), du nom de l’épouse de Vashishta qui dit-on vivait également ici ; à cet endroit un peu perché dans la falaise, elle présente une vue superbe sur les méandres du Gange et porte aussi, dans les circuits touristiques, le nom de « Jesus Cave », car certains l’affirment, le Christ aurait séjourné là lors de ses années en Inde. Sans le savoir, plusieurs swamis auraient eu ici une vision de Jésus.

Voir plus de détails, et des vidéos, ici :

Rishikesh – Ajatananda ashram

Visite de cet ashram consacré par Chandra Swami et entretien avec son fondateur Swami Atmananda, ancien moine de la tradition chrétienne d’Orient ayant embrassé la philosophie de l’advaita vedanta (enseignement de la non-dualité).

S’inspirant de la vision d’un de ses prédécesseurs, Swami Abhishiktananda*, de l’unicité de la Vérité ultime au-delà du particularisme des approches religieuses, Swami Atmananda fonde en 2003 l’Ajatananda Ashram, qui porte le nom de celui qui fut le disciple réalisé d’Henri Le Saux : Swami Ajatananda Saraswati (Marc Chaduc), « disparu » ou « éveillé » dans le haut Himalaya en 1977.

L’ashram est dédié aux contemplatifs de toutes religions ou traditions, qui peuvent venir y accomplir une recherche spirituelle et réaliser la connaissance du Soi par la contemplation silencieuse :

Interrogé sur son passage de la chrétienté à la mystique indienne, Swami Atmananda, qui enseigne la non-dualité en Inde et en Europe, a cette réponse éclairante : « les prêtres sont formés pour enseigner Dieu mais pas pour le réaliser. »

Puis soirée-puja à Sri Krishna Kripa, un ashram familial – offrande des lumières aux divinités – et kirtan avec un musicien français, Mahadev OK, adepte de bhakti yoga (le yoga de la dévotion) et animateur de kirtans (chants dévotionnels de groupe) .

Dumet (Vikasnagar) – Dehradun district, Uttarakhand – Sadhana Kendra Ashram

Comment décrire, autrement que par quelques mots simples, mon expérience là-bas ?

Calme – Silence – Présence vibratoire de Swamiji (Chandra Swami le maître éveillé de l’ashram qui a « quitté son corps » il y a 3 semaines…) – Méditation – Seva (service à la communauté) – Discipline – Respect – Simplicité – Dévotion – Amour inconditionnel – Perception palpable de la Joie – Incommensurable – Temps suspendu – Réflexion – Patience – Questionnements – Quête intérieure – Purification – Partage – Amitié – Mots du cœur – Mots de Soi…

texte et photos (c) D. Marie 2024

photo de couverture : soir doré sur le Gange à Rishikesh

Gratitude à André Riehl qui nous a permis d’aborder l’Inde avec le regard du cœur, fait bénéficier de ses connaissances sur ce pays et partagé ses lieux secrets, personnalités originales et anecdotes, et pour son accompagnement affectueux.

https://www.youtube.com/@andreriehl-nidrayoga2990

Merci à Infinitude pour l’organisation de ce voyage très spécial « Aux Sources du Yoga ».

À suivre …

2/3 La non-dualité, secret des sages

3/3 La dévotion, art de l’Inde

Note de lecture

Le Mas Théotime, plongée de nuit dans une Provence sanguine

Je (re)découvre Henri Bosco, un auteur que je pense n’avoir jamais lu auparavant, bien que son nom me fût toujours familier – sans doute, grâce à une institutrice d’école primaire, et à un polycopié à l’encre violette, inséré dans un cahier de poésie ? … Car sa prose l’est, poétique. Petit frère ou plutôt prédécesseur de Jean Giono, chantre d’une Provence exquise et secrète, sauvage, ne s’offrant point au premier regard, il explore les solitudes de l’homme et des paysages, enfouies entre les sillons, les collines et les friches. Son livre Le Mas Théotime m’a rappelé Un de Baumugnes, Colline, ou encore Que ma joie demeure, de Giono : tant par son style (un peu plus lent et attentiste cependant), que par le parfum de France tranquille que nous tenons imprégné dans nos gènes…

(je fais un aparté : à nous, générations d’après-guerre qui avons eu le bonheur de connaître encore un grand-père à la campagne… le grincement de la roue d’une carriole, la course effrénée des poules affolées par le cliquetis métallique du portail du poulailler, les lapins dans leurs clapiers ou l’odeur d’eau verte et sucrée des potagers et des vergers…. mais je m’égare !) …

… tant par son style donc, et les parfums de campagne et d’armoire à linge qui semblent s’évaporer des pages jaunies du livre de poche, que par son sens dramatique et l’atmosphère pesante qui émane de leurs lignes, comme si leurs auteurs avaient su renifler, avec quelques décennies d’avance, la terrible agonie de la France rurale que l’on déplore aujourd’hui. En effet, dans un cadre idyllique, où tournoient, sans menacer toutefois le bonheur des vivants, les ombres des ancêtres, où rougeoient les clameurs du couchant et où le lait fume dans les bols ébréchés, sur la grande table en bois du petit déjeuner, le drame latent qui transpire de ces pages en apparence tranquilles, laisse présager d’un dénouement compliqué, pour ces existences dont l’avenir se trame, avec elles, malgré elles.

Pourquoi Henri Bosco est-il tombé, comme tant d’autres, en désuétude ? Parce qu’il décrit un mode de vie sain, lent et intériorisé, propice à la réflexion, qui manque tant à notre époque surchauffée ? Parce que les valeurs qu’il représente – vertu familiale et retenue sociale, modestie, prudence – n’ont plus beaucoup cours aujourd’hui ?

Le Mas Théotime est un livre d’une rudesse emmitouflée de molleton, un livre qui sent bon la paille et la garrigue, les collines du Lubéron et l’eau des sources. Qui parle de la terre comme d’une personne, avec ses exigences, ses incertitudes et ses gratifications. Qui parle du ciel, de la pluie et des nuages comme d’un film merveilleux et parfois terrifiant, et des saisons comme d’un cycle éternel qui constitue la trame de la vie. Un livre qui nous fait sentir au plus profond de nous, l’attachement à une vieille bâtisse familiale et aux terres qui l’entourent, bichonnées, travaillées, honorées et récompensant de ses fruits des générations de mains et d’outils laborieux.

Qui nous rappelle à nous-mêmes, à nos noirceurs, aux tréfonds cachés de notre âme, et à la lucidité qui s’impose, pour nous en extirper, nous élever et sortir grandi, prenant opportunément les décisions justes et sages, celles qu’impose l’enracinement à la terre et le respect des lois naturelles… Dans un village de Provence, deux familles alliées se voient unies par de nombreux mariages, entre cousins comme ils s’en faisaient tant avant. Au milieu des aléas de la vie, un jeune garçon, sauvage et ténébreux, n’ose exprimer l’amour pour sa cousine vive comme l’air qui déstabilise son caractère terrien. Il rejette donc ces doux sentiments comme une mollesse de cœur pour laquelle il ressent une instinctive répulsion, comme s’il allait s’y noyer, ou perdre quelque chose au plus précieux de son être.

C’est un livre qui parle du sang, celui de nos ancêtres et de leur présence autour de nous.

Qui parle de la voix amicale des gens avec qui l’on vit, même dans le silence, des objets familiers qui nous entourent, et de la chanson du quotidien, répété dans ses gestes et multiple par ses humeurs, le temps, les événements.

Qui parle de choix, de silences portant leur propre compréhension des choses, de communication non verbale, d’instinct et de patience.

Qui nous emmène dans le monde de la terre, ce monde paysan qui fait sourdre en nous nos propres racines paysannes – car qu’était la France d’antan sinon un monde essentiellement paysan ?

Question bien d’actualité, il me semble…. voici un petit extrait sur le monde agricole… enfin ce qu’il était !

« J’avais depuis deux ans établi ma vie sur des lieux dont j’éprouvais la bienfaisance. Cette terre est forte et nourricière d’âme. Mon être s’y alimentait à des sources calmes; et j’arrivais parfois, sous l’afflux de cette fraîcheur qui s’épandait dans tout mon corps, à mêler mes deux sangs ennemis.

« Pour les êtres qui m’entouraient, ils m’apportaient des satisfactions et des soucis pareils à ceux qui me venaient de la terre. Les soucis qu’elle donne sont mâles et d’une progressive pénétration. Car elle satisfait à ce besoin inné de lenteur solennelle et d’éternel retour que seuls la croissance du blé ou le verdissement des vignes offrent à l’homme qui est aux prises avec la grandeur et les servitudes agricoles. »

Le vieux métayer Alibert qui parle peu, ses mains laborieuses posées sur la table quand il réfléchit ou attend une réponse, en signe de confiance. En lui coule le sang des veines de la terre, et la douce amertume des erreurs ou infortunes de ses ancêtres qui lui ont fait perdre leur propre terre.

Marthe, sa femme, saine, intuitive, ne posant pas de question mais toujours au fait de la meilleure et juste chose à faire.

Son fils, Jean, discret, dans la force de l’âge, et Françoise sa fille, brune et solaire, au visage franc et aux yeux directs.

Le voisin Clodius, cousin éloigné, teigneux et envieux, qui hante les lisières de la propriété dans l’espoir de faire fuir ce cousin arrivé de la ville et dont il se serait bien passé.

Le propriétaire, Pascal, sombre mais conscient de ses faiblesses, impétueux mais se maîtrisant, honnête avec lui-même et se méfiant de ses coups de sang, se coulant dans la légèreté du jour comme dans l’épaisseur du soir, avec la confortable impression du travail accompli et la satisfaction d’être parfaitement à sa place. Heureux de ce qu’il possède et ne renâclant pas sur ce qu’il n’a pas.

Geneviève, la cousine un peu dissolue, aérienne et passionnée, qu’il a secrètement toujours adorée mais jamais osé le lui dire, qu’il a repoussée même, et qui surgit dans sa vie, précédée de sa réputation, qui vient se réfugier chez lui, trouver l’apaisement des jours qui se ressemblent et de la nature qui console. Avec elle, entrera dans la ferme, un passé mouvementé…

Des personnages qui, tous, vont à leur destin, certains sans hâte, vaquant aux labeurs du jour et au repos de la nuit sans plus s’attarder sur de lointaines questions, et d’autres, tourmentés ou passionnés, qui y courent avec précipitation, saisissant les branches sur le côté du chemin pour s’y accrocher et accélérer ainsi l’inéluctable aboutissement de leur fragile existence terrestre.

Sur ce fond de vie campagnarde paisible vient se greffer un formidable suspense à la Hitchcock, qui m’a fait frémir d’impatience et frissonner d’anticipation deux ou trois nuits durant !

Le Mas Théotime, d’Henri Bosco
Gallimard, 1952 (ici Livre de Poche)

« Les médisances ont une telle force qu’elles remonteraient le fil du vent. Sans doute peuplaient-elles les airs, où je les respirais sans le vouloir. »

« Clodius espérait ainsi me dégoûter du bien et m’inspirer le désir de retourner à la ville. Selon lui, je n’aurais jamais dû en sortir. J’étais un intrus. Mais, soutenu par les Alibert qui ont beaucoup de patience, je sentis s’éveiller en moi une ténacité si paysanne que je fis tête assez bravement. »

« Geneviève était Métidieu jusqu’à la racine des ongles. Elle ne vivait pas, elle dansait. Sa vivacité me déchirait le cœur. Car mon amour est lent à se poser; il lui faut des objets un peu lourds et qui longtemps restent en place. Pour aimer j’ai besoin d’abord de m’attendrir et non pas d’admirer. Mais d’ailleurs comment admirer (du moins sans jalousie) une âme qui rit en plein vol quand on ne peut soi-même s’élever que faiblement au-dessus de la terre ?

(…)

« Elle était déjà grande, leste, un peu rousse, hardie et offrait alors quelque image d’une créature du vent, s’il en est. Ces créatures-là on peut bien les aimer, je pense, mais on ne les retient pas longtemps à la portée de son amour. »

« L’air n’est pas mon élément, mais la terre; et j’aime les plantes parce qu’elles vivent et meurent là où elles sont nées. « 

« C’est elle qui me révéla cette puissance et aussi cette qualité d’abri moral qui émane des murs du mas Théotime. La douceur m’en était depuis longtemps perceptible, mais je ne savais pas en définir la nature. Geneviève trouva le sens de la maison dont le signe s’était perdu depuis tant d’années. Loin d’y apporter le désordre, elle y venait chercher l’apaisement. Car elle avait imaginé sans doute que nous ne bâtissons jamais pour nous abriter seulement des fureurs de l’hiver, mais aussi pour nous mettre à couvert des mauvaises saisons de l’âme. « 

Nocturnes

Lisez en écoutant :

« For Your Love » (Jacob Gurevitsch Arturo Sandoval)

Balbutiements de la lune

aigre cri de la mouette

flux et reflux du temps perdu

temps présent sur la corde raide

le monde s’effondre et se déglingue

reflets nacrés sur le mazout

à coeur vaillant rien d’impossible

(c) DM 2023

Virevolte

Virevolte

Révolte qui sourd

grondement des vieux loups dans la forêt profonde

familière et féconde

qui nous ensemence et nous nourrit

Humus des années passées à comprendre, à grandir

Craquement sec dans la nuit épaisse

une branche enfin prête à céder sous nos pas

après des années de décomposition

la face de l’ombre

plonge son regard

en nous

fait volte-face

et libère la clarté qui dérange

Virevolte

Au goût amer des feuilles mortes

se mélangent les sucs des insectes qui grignotent

écorces, brindilles, pousses tout justes sorties

et les sables éphémères, en volutes émouvantes

se rappellent à notre conscience ensauvagée

en tempêtes

tourbillonnantes

de spirales enfumées

Lames de fond sur le gouffre de l’âme

qui cinglent tout sur leur passage

Virevolte

Tout revient tournoyer autour de nous

en longs lambeaux effilochés

à moitié digéré, à moitié consommé

tout revient nous obséder

demander son compte

travailler notre naïveté

en saccades obscures

cycles absurdes dont nous peinons à sortir

et tout tourne sans cesse

en vagues déferlantes

qui nous hypnotisent et nous hantent

Virevolte

Tout autour de nous n’est que pensées, émotions élaborées

émanant du monde subtil

Toute forme autour de nous s’estompe

des ombres se redressent et viennent réclamer leur dû

raclant le sol et rechignant à évoluer

avant de retourner en poussière

tout n’est que spirale du vivant

apparu, transformé, disparu

Virevolte

Tout autour de nous vibre et se dilue

comme des lucioles

dans l’air qui sature et étincelle

Tout n’est qu’Amour et confusion

Tout n’est que Paix et illusion

(c) DM

Poésie des cargos

Cargos, monstres marins qui flottez

sur un monde post-diluvien

qui vous ressemble et que vous animez

de votre présence hiératique

Portes ouvertes sur l’horizon,

sur des lointains chargés de fantasmes,

d’impressions fortes et d’odeurs écœurantes

Le cargo me touche,

le cargo roule et tangue et fait tanguer mes rêves

Le cargo évoque d’autre rivages, d’autres visages

posé là avec ses containers

sa tourelle et son ancrage

en attente d’un acconage

Morceaux choisis et résumés de vie

empilés, amassés, imbriqués tel un jeu pour enfant

conteneurs d’ananas, journaux, meubles et ferrailles

pièces de véhicules, machines à laver, papayes

cartes postales d’un autre temps, d’un autre univers

sous d’autres tropiques et d’autres latitudes

Edifices aux couleurs de rouille

vous voguez, impérieux

au sommet des crêtes et dans le creux des houles

indifférents aux hurlements du vent,

à la furie destructrice de l’océan,

sereins sur les mers d’airain

Parfois à l’abri d’une rade,

en l’attente d’une cargaison,

d’un accostage, d’une nouvelle balade,

vous affourchez, imposants et altiers,

et dans la flamme du jour qui s’estompe,

vous faites miroir aux milles facettes

reflétant les facéties du couchant

Véritables empires flottants

dont les coursives le soir s’illuminent

rappelant que vous êtes aussi une ville

où rient, chantent et boivent des humains

vibrante de leurs espoirs et de leurs tragédies

Quelles sont ces vies que vous portez ? 

Et celles que vous desservez ? 

Quels trafics, quels déménagements,

quel besoin pour les humains

depuis le début des temps

d’échanger et de commercer ? 

Vous êtes posés là, hauts comme des immeubles

énormes et immuables,

et pourtant dérisoires comme tout puissant

qui ignore encore sa déchéance certaine…

Vous évoquez des ports aux structures métalliques

où s’échangent des femmes et des coups de couteaux

des cités des pays aux consonances exotiques,

déserts, détroits, glaciers ou lagunes

des lignes de côte aux contours poétiques

sublimés par notre inconscient voyageur

Dignes d’une aquarelle, d’un trait de pinceau sombre

vous faites appel à nos mémoires communes,

vies antérieures ou gènes ancestraux

portés comme des plaies à l’intérieur de nous

qui n’attendent qu’un clin d’œil pour se libérer

Et une porte s’ouvre, un vent se lève et fait rêver

La poussière s’envole en tourbillons légers

Nous sommes dans un ailleurs de notre psyché

un espace où rien n’ose plus nous entraver

Intouchables, infaillibles,

nous touchons à ces terres lointaines

où tout peut encore être recommencé.

(c) D. Marie

Illustrations : (c) peintures de C. Marie « Vladivostok » et « Helsinki »

Prière pour la Fin des Temps

Ecoutez en lisant : https://music.youtube.com/watch?v=PZeTKfpFfOI&list=RDAMVM0QFY3SCgUGA

Homme, Femme, Vieillard ou Enfant,

Vivant, décédé ou encore à naître

Que ton Coeur soit pur et lumineux

qu’il éclaire ta route au-devant

et irradie autour de toi

Qu’il soit phare pour les Autres

et pour toi, guide et réconfort,

afin que ton chemin soit joyeux

Que chaque Jour soit comme le Dernier,

beau et bon et bienfaisant

comme un pain chaud sorti du four

Et que ton Cœur se réjouisse

lorsque les étoiles pâlissent

au firmament

Que la Terre soit fertile et nourricière

et notre Mère à tous

Que le Soleil, la Lune et les Etoiles

redeviennent nos parents, nos frères, nos soeurs et nos enfants

Et les éléments, notre levain

Que chaque Cœur vibre d’Amour et se relie au Sans Objet

Cœur de l’Univers, dont il est à la fois Tout et Partie

Que chaque Cœur vibre de Compassion pour tout ce qui est Vivant,

sachant que toute la Création est issue d’un même atome,

du même abîme,

et vibre du même Son originel

Que homme et femme se chérissent et se complètent

et se donnent naissance l’un à l’autre

comme la vigne et le raisin

ou deux sarments d’une tresse

Que tes yeux donnent du sens à ce qu’ils regardent

Et que tu sois béni mille fois en retour

par le regard des Autres sur toi

Que ta bouche chérisse le silence

Et tes oreilles attentives au bruissement des feuilles

au gargouillis de l’eau

au murmure discret des étoiles

Que tes mains caressent sans chercher à saisir

et offrent au Monde ce de quoi tu es fait

Que ta langue, ta peau goûtent à l’Infini

et aspirent à sa Tendresse

Que ton langage soit prière

Que ton Verbe soit Chant,

et qu’il se fasse chair

Que ton respir soit doux comme celui d’un enfant

Tendre ton inspir

Généreux ton expir

Cycle précieux en harmonie

avec la grande respiration de la Terre

Que tes hanches soient souples et ta démarche sûre

Rassurante ta posture et ferme ta direction

Que tes pas te guident où tu es en harmonie

où ton cœur et ton corps palpitent sans faire de vagues,

profonds comme un lac d’altitude

seulement ridé à la surface

par quelque facétie du vent

le frémissement de tes sens

et la Noble expression venue du fond

de tes émotions

Que tes bras accueillent le Grand Mystère

et l’embrassent chaleureusement

Qu’ils reçoivent en retour

le frisson du Vivant

Que ton Esprit soit clair et ta pensée limpide

Que tes pensées, tes paroles et tes actions

résonnent comme un acte d’Amour,

alignées sur le Grand Principe

car chacune d’entre elles

influence le Tout

Que ton plexus soit fort face à l’adversité

et ne daigne ni fléchir ni se décourager

Que ta pratique soit ainsi, simple et dédiée

Que chaque être voie le monde

avec l’âme d’un enfant

dépourvu de toute intention de nuire

Que Notre Cœur vibre à l’unisson

avec le reste de la Création

Que tes yeux enfin scintillent

de toutes les Beautés du monde

qu’ils reflètent l’effervescence de ton Cœur

ils seront un signe de ta Joie d’être en Vie

Reçois la vie à pleines mains

et les bénédictions seront légions.

(c) DM novembre 2020

Filigrane

Silence. Bruissements du jour.

Craquements. Pépiements. Caquètements. Silence.

Lointains mugissements, bourdonnements. Silence.

Vrombissements assourdissants.

Et le Sacré se révèle.

Belle-au-bois-dormant sous la tonnelle,

dont le baiser ardent irradie d’argent autour de lui.

Un tout petit chat ronfle, roulé en boule dans un pot de plante.

Léger ronflement, à peine perceptible – comme un nourrisson.

Il suffit d’un petit ronflement et le grand Cœur du monde s’éveille et frémit.

Le cœur de la planète, de l’Homme, de la Création.

Lentement une fleur sourit, pétales qui s’ouvrent et répandent leurs effluves,

aériennes comme la soie.

Et s’épanouit, à nouveau, l’arôme du Bonheur.

Conspiration au bonheur.

Les bourdons, les abeilles me rasent de près –

adaptent leur trajectoire aux obstacles parsemés dans le jardin,

tels des moteurs de Formule 1.

Le pic épeiche s’en donne à cœur joie.

Repos – ô trêve ! La Terre soupire d’aise.

A tire d’ailes passent les moineaux, passereaux.

Bergeronnettes et fauvettes.

Mésange huppée, pinson, rougequeue, geai.

Et même deux hirondelles printanières qui, pourchassées par les chats, cherchent refuge en ma maison.  

Lointains échos de musique assourdis.

Gais pépiements dans l’air altier.

Enfin la délivrance, enfin le ralliement.

Saveurs du soir et air du Temps.

Froissement d’air, frémissement d’aile.

Conversation de l’eau, gargouillements.

Passer le temps sous les sureaux.

Parfums d’enfance et de silence.

Epaisseur de l’instant, texture soyeuse sous le doigt.

Goût du bonheur.  

Manque. Sentir le manque.

Se rassurer, avec patience, avec douceur.

Ce n’est pas la fin, ô non ! C’est juste UNE fin.

Une dont on avait besoin.

Long hululement du vent. Appel lointain, impatient.

Lamentement. Soudain murmure insignifiant.

Le Sacré s’en est allé de la Terre des Humains.

Mais dans le matériel il n’y a rien de poétique.

Qui se souvient de l’odeur des premières fleurs de pommier ?

Sous la couche des choses, l’entendement.

Filigrane, graines sous-jacentes.

Des mots, des gestes, des non-dits.

Métamorphoses intimes.

(c) DM